pour guérir et sauver les hommes"

Nicole GAUTTIER
Guérir et sauver - n°11 Mai - Juin 1977 - Page n° 2

éditorial

La souffrance, comme la maladie, ne demande pas une réponse, ni une solution, mais bien qu'on l'endure.
C'est ainsi seulement qu'on peut briser la logique de la vengeance qui perpétue le mal.
C'est ainsi que la logique de la Résurrection commence à paraître plausible.
Tout le texte est joint.

DEVANT la souffrance et le mal, qui peut rester indifférent ? Grands ou petits, jeunes ou vieux, pauvres ou riches, nous sommes tous interpelés, mis en cause, ébranlés. Tout être humain cherche une réponse, une main amie qui prendra la sienne et l'empêchera de couler. S'il ouvre un livre — ou cette revue — il ne cherche pas une théorie, il attend un signe qui le guidera quand surgira soudain devant lui un mur, qu'il se blesserait à vouloir franchir ou abattre à mains nues.

L'homme, qui se sait créé pour le bonheur .— « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre... et Dieu vit que cela était bon » (Genèse 1,1.9s) —, constate le scandale « d'un monde gisant tout entier au pouvoir du Mauvais » (1 Jean 5, 19). Jésus Lui-même nous le dit dans la prière apprise à ses disciples : « Notre Père qui es aux cieux... délivre-nous du Malin ».

LE MAL : UNE QUESTION ?

La société s'est organisée pour faire face au mal, en le diminuant, en réprimant ou en le masquant. L'unanimité à combattre la souffrance comme un mal ne dissimule pas son ambiguïté [[C'est à démasquer cette dissimulation du mal en une simple non-santé » que s'emploient les articles donnés, dans ce numéro, en Intégration (P. Eyt, Docteur P.-A. Bertazzi et Docteur H.) (N.d.l.R. ).]] : en fait, devant tout mal, je désigne la cause et je cherche à la détruire. Devant l'anonymat et l'universalité des multiples maux qu'atteste la souffrance, je tente de la démasquer en trouvant un coupable. Qui accuser ? Quand ce n'est pas l'ennemi politique (« de classe », ou étranger), quand la maladie ne peut plus être réduite à une anomalie purement physique à laquelle la technique médicale peut (ou devrait) porter remède, alors on incrimine Dieu ! (p.2)

Le dernier service que rende Dieu à l'humanité qui l'évacue serait ainsi de fournir un bien beau coupable pour le crime universel et inexcusable. Dieu nous confirme ici dans, la bonne idée que nous avons de nous en acceptant d'être l'unique coupable de l'omniprésente souffrance.

Nous nous vengeons ainsi de Dieu en le démontrant coupable : celui qui souffre ne tente-t-il pas toujours de se venger de sa souffrance en inculpant celui qui ne souffre pas ? Quel processus mettons-nous ainsi en oeuvre ? Une logique où je ne suis jamais responsable du mal ni de la souffrance, mais où toujours un autre est inculpé à ma place et m'innocente. Que cet autre soit ce qu'on voudra, qu'importe ! Au fond, c'est toujours la logique de Caïn, ou d'Adam, qui prévaut. Si l'on demande : « Qu'as-tu fait de ton frère ? », il faut répondre : « Je ne sais pas ; suis-je son gardien ? » (Genèse 4, 9). Si l'on demande : « Qui t'a appris que tu étais nu ? », il faut accuser « la femme », qui, à son tour, accusera « le serpent » (Genèse 3, 10). Pour me décharger de toute responsabilité, je dois accuser un autre, même s'il est innocent. L'innocence ne se plaide donc qu'au détriment de l'innocence, et ma non-culpabilité au prix de l'inculpation d'un autre.

QUAND L'INNOCENT ACCEPTE D'ETRE COUPABLE

 Avant d'être une réponse — et la seule — à nos interrogations sur le mal, la Croix est le lieu où culmine le scandale de la souffrance. Un Dieu que les hommes mettent à mort !

Paul a vivement ressenti le paradoxe de la mort du Christ : « Nous prêchons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens ; mais pour ceux qui sont appelés, Juifs comme Grecs, c'est le Christ, sagesse de Dieu et puissance de Dieu ! » (1 Corinthiens 1, 23-24). L'innocent accepte d'être mis à mort parce qu'il a « pris sur lui le péché du monde ».

Le Christ ne vient pas « résoudre le problème du mal », ni « apporter une réponse à la question de la souffrance » ; il vient endurer à fond l'un et l'autre. Si le mal, c'est précisément de toujours reporter sur un autre la souffrance que l'on subit, s'il consiste en ce transfert sans fin, en un cercle où le mal se transmet de vengeance en injustice, sans rime ni raison, si le mal enfin triomphe dans la question même qui cherche un responsable à la souffrance, le Christ vient parmi nous précisément pour ne pas désigner de coupable. En refusant d'accuser ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font » (Luc 23,24), le Christ n'accuse pas son Père pour autant : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Luc 23, 46) ; il porte sur lui la souffrance sans la reporter sur quiconque ; il supporte de plein fouet le choc du mal. Non qu'il s'accuse lui-même puisque, comme Job, infiniment plus que Job, il se sait innocent, « Roi » (Matthieu 23, 11 et parallèles ; Jean 19, 19-22) [[C'est ce que montre le texte de J. Lévêque (N.d.l.R.).]]. Bien plus, c'est son innocence qui lui permet d'endurer le mal, d'affronter la souffrance : innocence d'autant plus déchirante qu'Il est Dieu.

Le Christ ne fait donc rien qu'affronter le mal, à nu, sans céder : « Quant à moi, je n'ai pas résisté, je n'ai pas reculé, j'ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, les joues à ceux qui m'arrachaient la barbe, je n'ai pas soustrait ma face (p.3)aux outrages et aux crachats. Le Seigneur Dieu me vient en aide ; c'est pourquoi je ne ressens pas les outrages. C'est pourquoi j'ai rendu mon visage dur comme pierre : j'ai su que je ne serais pas confondu » (Isaïe 50,5-7). « Nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d'une manière semblable, à l'exception du péché » (Hébreux 4,15).

LE SIGNE DE LA CROIX

Car en face du mal, au lieu d'une réponse à donner, il y a un signe à faire : le signe de la Croix. Jésus, par sa mort, a vaincu la mort. Interposé comme un écran entre le Mal et l'Homme, il affronte le Mal à visage découvert. Il accomplit en Lui-même le passage de toute l'humanité rachetée qu'Il entraîne avec Lui dans Sa Résurrection. La Résurrection de Jésus, ce n'est pas le happy end d'une histoire qui se serait mal passée, mais l'accomplissement de ce que Jésus avait toujours fait : affronter le Mal en notre lieu et place. « Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante ; le dernier Adam est un esprit qui donne la Vie » (1 Corinthiens 15,45). « Oui, il est vraiment ressuscité ; par sa mort, Il a vaincu la mort : à ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la vie » (Tropaire Byzantin).

Par son endurance à la souffrance, le Christ surprend la logique du mal et lui oppose la « logique » de la Résurrection qui transcende toute logique humaine. Il vainc le mal d'une manière unique, car seul Il peut aller affronter la mort jusque dans son repaire. Par sa mort, Il s'empare de la mort : « Personne ne prend ma vie ; je la donne de moi-même : j'ai le pouvoir de la donner et pouvoir de la reprendre ; tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père » (Jean 10,18).

C'est dans la défaite même que la Croix triomphe : puisque la logique du mal nous vainc en nous incitant à vouloir « gagner », c'est-à-dire nous venger, celui qui accepte de perdre et de se perdre vainc le mal, sauve donc tout. La Résurrection ne succède pas à la Croix. Dès la défaite, sous une souffrance endurée sans vengeance (la mort physique), la logique du mal est stoppée. Quand le Père ressuscite le Christ, Il manifeste cette victoire. La Résurrection coïncide avec la Croix pour que l'endurance sans vengeance de la souffrance annihile la logique du mal. La souffrance endurée devient un visage de l'amour : celui que Dieu a choisi pour me rencontrer [[Voir les articles de H.-U. von Balthasar et d'A. von Spyer (N.d.1.R.).]].

Affronter le Mal, pour l'homme, c'est impossible. Mais désormais, avec Jésus, cela . devient possible. La souffrance reste apparemment la même ; mais elle a changé de sens : elle n'est plus absurde. Pour nous aussi, elle devient en tin sens praticable, « du fait que Jésus a souffert Lui-même par l'épreuve, Il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés » (Hébreux 2,18). Le chrétien ose donc dire avec Paul : « Je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure et je complète en ma chair ce qu'il manque aux épreuves du Christ, pour son Corps qui est l'Église » (Colossiens 1,24). Mais que peut-il « manquer » à la surabondante passion du Christ ? Sommes-nous à ce point membres de Son Corps que notre participation y soit requise ? (p.4)

CE QUI « MANQUE » AUX SOUFFRANCES DU CHRIST

Merveille de l'amour infini du Père pour chacun de nous : Il nous a fait l'honneur d'être co-rédempteurs avec le Christ pour le salut du monde afin que nous puissions ressembler à Jésus en tout et devenir fils dans le Fils. Jésus a combattu le Mal et nous demande d'être avec Lui et en Lui victorieux de ce combat. Chaque fois que nous affrontons le Mal sans détourner la tête, nous sommes déjà dans la Lumière de la Résurrection [[L'ensemble des articles d'Attestations (B. Billet et J.-L. Breteau, les éducateurs de l'Arche et J. Mesnard) tente de rendre perceptible cette réalité inouïe (N.d.l.R.).]]. Alors, nous vivons les Béatitudes qui sont le chant de la souffrance transformée en joie. Nous pouvons pressentir les cris d'amour et le témoignage des saints. Ils nous montrent le chemin vers Celui en qui nous sommes ressuscités dès avant notre mort, si nous consentons à ce qu'Il fasse en nous Sa demeure : « Je veux souffrir pour le Christ », disait Thérèse d'Avila. « Je vous remercie, ô mon Dieu, de m'avoir fait passer par le creux de la souffrance », ajoutait Thérèse de l'Enfant Jésus.

 

 

LA seule issue de la souffrance, c'est la résurrection des corps. Toute autre réponse masque l'ampleur du drame. Il y avait le cercle infernal de la logique du Mal. Il y a maintenant le cercle ouvert de toutes les douleurs qui transparaissent au travers d'un visage.

 

« Si les sanglots des suppliciés nous demeuraient dans la gorge, la terre entière depuis Caïn aurait péri d'étouffement (...). En vérité, nous ne pourrions plus vivre, (...) et pourtant, rien n'est oublié, chaque pleur versé dans le désert filtre enfin jusqu'à la nappe éternelle, Visage de tous les visages.

« Nous ne pourrions plus vivre si nos actes revenaient nous frapper en plein front (...) Ils reviennent cependant, mais c'est un Autre qui, sous eux, chancelle ; Il s'est chargé pour nous de tous les péchés du monde que chacun de nous a commis (...). Un Homme au zénith du monde est éternellement en agonie ». (Pierre Emmanuel).

Dieu nous a donné « des entrailles d'amour pour souffrir » les uns pour les autres (Jean de la Croix), pour que nous soyons porteurs de la Bonne Nouvelle, porteurs de la « petite espérance » qui nous permet de durer, d'endurer, de tenir jusqu'à ce qu'Il vienne comme Il l'a promis. Ce jour-là, « Il essuyera toute larme de nos yeux ; de morts il n'y en aura plus ; de pleurs, de cris, de peine, il n'y en aura plus car l'ancien monde s'en est allé. Dieu dira : « Je suis l'Alpha et l'Oméga, le principe et la fin. Celui qui a soif, moi je lui donnerai de la source de vie, gratuitement. Telle sera la part du vainqueur ; et je serai son Dieu, et lui sera mon fils » (Apocalypse 21,4. 6-7). (p.5)


Revue papier

La revue papier est épuisée , seul l'achat de pdf est disponible

Revue numérique

Titre Prix HT € TVA % Prix TTC Action
Guérir et sauver - pdf Gratuit pour tout le monde Télécharger