Thomas LANGAN
Quelle crise?
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n°50
Novembre - Décembre
1983 - Page n° 2
DEPUIS la première guerre mondiale, à chaque fois qu'un progrès spectaculaire était réalisé dans le domaine des engins de destruction, des Cassandre ont cru que l'humanité était au bord de la destruction. Aussi, quand apparurent les armes nucléaires, certains pensèrent : « Toujours la même histoire ! Une fois de plus, nos prophètes exagèrent ».
Mais aujourd'hui, il y a des gens bien renseignés qui ne sont pas si sûrs que l'on exagère. Une étude de la Rand Corporation pour l'« Agence pour le contrôle des armements et le désarmement » a conclu qu'il n'était pas sûr, en cas de guerre nucléaire totale, que la vie humaine pourrait survivre dans l'hémisphère Nord. L'accélération dans la concentration de puissance a franchi un seuil critique où le changement quantitatif bascule en un changement qualitatif : l'humanité fait face à une crise différente par nature, et pas seulement en degré, de celles qu'elle a affrontées dans le passé.
Ce n'est pas seulement le fait de cette concentration de puissance qui est nouveau. C'est aussi la prise de conscience qui en découle, la conscience que l'humanité doit désormais, en quelque sorte, décider de son destin.
C’EST bien là le sens de la racine grecque du mot «crise» : décider. De nouveaux choix se présentent à l'humanité, et une façon nouvelle de percevoir les choix anciens, ainsi que des possibilités nouvelles, d'une efficacité étonnante — des instruments radicalement originaux pour atteindre à la fois les buts anciens et des buts nouveaux. Mais ce n'est pas seulement cette sensation accrue que quelque chose est nouveau, associée à un rythme accéléré de changement, qui produit le sentiment que l'humanité se trouve devant une crise sans précédent — ce que nous appelons la Crise, avec une majuscule — ; c'est aussi le sentiment de se heurter à une limite, tant les responsabilités de l'homme sont désormais à l'échelle de la planète. Il se peut (p.2) que des lendemains qui chantent nous attendent dans le cosmos ; mais, pour l'instant, même la NASA ne peut nous soulager de l'impression qu'il n'y a pas d'échappatoire.
Ce que nous appelons ainsi la crise se subdivise en de multiples aspects. Énumérons-en quelques-uns :
Dans le temps : la conviction que la civilisation industrielle que nous connaissons ne tient qu'à un fil. Elle se trouve à vingt minutes, à vol de missile balistique, d'une terre dévastée et de populations carbonisées.
Dans l'espace : le fait que la terre devient bondée, et qu'il n'y a aucun endroit où se réfugier [[Un symbole parfait : ce jeune couple de Colombie britannique qui, convaincu de l'approche de la troisième guerre mondiale, chercha et trouva l'an passé le havre de paix. Ils vendirent tout, et partirent avec leurs deux enfants... pour s'installer à Port Stanley, aux îles Falkland (Malouines) !]].
Au point de vue de la démographie : il est impossible pour des sociétés dont le taux d'accroissement dépasse les 3 % par an d'épargner assez pour se procurer un capital social minimal d'investissement et pour moderniser leur production agricole ; et ce, alors qu'ailleurs les peuples vieux et riches se meurent, faute d'enfants.
Au point de vue du développement : en dépit de taux de croissance élevés dans de nombreuses régions du « Tiers Monde », le taux de développement de l'infrastructure, l'accumulation du capital social, le transfert de la technologie vers l'agriculture et l'industrie, bien que souvent impressionnants, sont encore, dans beaucoup de pays, dépassés par la croissance démographique et compromis par des systèmes politiques médiocres, par des gouvernements incompétents et souvent corrompus, de telle sorte que l'inflation, l'endettement et les risques d'instabilité politique augmentent de façon menaçante.
Au point de vue économique : la stratégie mondiale du monopole constitué par l'OPEP a exaspéré les tensions qui, dans le système mondial de la monnaie et du crédit, augmentaient déjà par suite des phénomènes que nous venons de décrire. L'échec des autorités occidentales à organiser une institution à l'échelle mondiale qui puisse relever le défi nouveau lancé par l'existence d'un cartel mondial du pétrole a eu pour résultat que le recyclage des pétro-dollars a été laissé aux initiatives, non coordonnées pour la plupart, du système bancaire privé, menant ainsi l'ensemble de ce système au bord du désastre. On a fait un grand effort pour diversifier les sources d'énergie ; mais le fardeau accumulé des emprunts faits par les états pauvres (fardeau que certains estiment à plus de 500 milliards de dollars, rien que pour les emprunts d'état), ainsi que l'insuffisance du FMI comme organisateur des économies nationales, donne fortement l'impression que celles-ci dansent sur un volcan.
Au point de vue écologique : par-delà les prévisions apocalyptiques et les manipulations, cette nouvelle sensibilité a produit quelques résultats positifs. Un aspect important de ces résultats est la mentalité planificatrice : on fait effort pour extrapoler tous les vecteurs connus à l'œuvre dans une situation donnée jusqu'au point où il y aurait crise, ce qui manifeste les limites éventuelles de la (p.3)
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