Giuseppe SCIDÀ
Quelle crise?
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n°50
Novembre - Décembre
1983 - Page n° 42
Les sociétés développées partagent, au fond, les difficultés des sociétés du Tiers-Monde, puisque toutes ont conçu leur développement d'après le même et unique modèle - la croissance économique, l'enrichissement par la production. Les limites de ce modèle se manifestent différemment certes, mais elles imposent à tous d'envisager un développement qui fasse droit à l'ensemble de l'humanité de l'homme.
1ère et 2ème pages, 42 et 43, jointes.
L y a exactement dix ans, qu'en décembre 1973, les pays de l'OPEP décidèrent une augmentation vertigineuse des prix du brut, qui n'a pas peu contribué à répandre l'usage du terme de « crise ». Pourtant, durant cette décennie, s'est graduellement établie la conviction que la crise complexe du monde occidental était moins économique que d'abord culturelle — une crise d'identité. Cela est si vrai que jusqu'aujourd'hui, dans un panorama profondément modifié de l'économie mondiale — où les pays de l'OPEP profondément divisés se sont révélés absolument incapables de défendre leurs acquis provisoires — les conditions de la crise se sont généralisées au point que tous se sentent plus pauvres non seulement matériellement mais en idées et en projets d'avenir.
Jamais peut-être comme aujourd'hui, l'homme ne semble avoir perdu le courage de s'interroger sur son destin. Incapable de faire face positivement aux drames qui frappent la planète, il semble céder aux tentations de vivre au jour le jour, de s'en remettre à des comportements hédonistes et individualistes, tandis que le corps social voit renaître des comportements que, quelques années auparavant, l'on pensait définitivement dépassés : néo-corporatisme, néo-protectionnisme, néoisolationnisme. A l'optimisme rationaliste touchant un progrès automatique en vue d'un bien-être illimité, se substituent dans les esprits les craintes du futur typiques de ceux qui, ne reconnaissant rien qui mérite qu'on s'y « investisse », et ne possédant aucun « patrimoine » à quoi se confier, se limitent à vivre le présent. (p.42)
Malheureusement, même dans le domaine des sciences sociales, on assiste depuis dix ans à un fléchissement significatif des recherches ouvrant sur de larges perspectives du futur et de nouveaux horizons, exception faite, on le comprend, pour les études sur la «théorie des catastrophes ». Economistes, sociologues, politologues, sont dominés par le découragement impuissant à relever le défi de l'écueil historique que nous rencontrons. Ce complexe d'infériorité prend très vraisemblablement ses racines dans une crise du concept même de développement, entendu aussi bien comme processus que comme objectif. Un modèle de développement qui n'a pas l'homme comme fin et comme sujet caractérise en fait, de manière substantiellement univoque, toutes les sociétés, quel que soit l'écart de leurs systèmes économiques, en sorte que tous les peuples se rencontrent en une vision pessimiste de l'avenir. Nous esquisserons l'analyse des aspects les plus préoccupants du modèle actuel de développement tant dans les sociétés matériellement riches que dans celle du Tiers-Monde, et présenterons en conclusion quelques hypothèses pour le futur.
Les sociétés riches
La richesse matérielle des sociétés développées s'accompagne très souvent, c'est une banalité, d'une pauvreté morale et spirituelle profondément enracinée. Le débordement de cette pauvreté sur tout le tissu social n'est pas toujours conscient, parce que l'esprit sombre dans la confusion des messages ambigus et contradictoires qui l'assaillent quotidiennement. En effet, l'homme contemporain rencontre continuellement une réalité faite d'éléments hétérogènes et de phénomènes complexes difficilement analysables. Surabondance d'informations, mais aussi de toxicomanie ; moyens de transport toujours plus sophistiqués, mais pour traverser des sites toujours plus dégradés ; mobilier confortable dans des appartements décorés, mais où les structures familiales se dissipent et éclatent. Tel est le résultat de la manipulation des besoins humains souvent confus mais réels, auxquels on ne donne que des réponses préconçues par l'illusion d'objets-signes, qui dissimulent à peine leur fonction dans le système productif et qui, par leur croissance même, engendrent la frustration et l'anxiété chez les hommes englués dans la consommation de masse.
Dans ce contexte, typique des sociétés industrielles développées, surgit ce que l'on peut définir comme «la pauvreté post-matérialiste », dont les symptômes les plus évidents sont la solitude, l'appauvrissement des rapports humains, l'impuissance à communiquer (ceci particulièrement dans le troisième âge), les évasions «mystiques », le recours à la drogue et à la violence, la recherche de la déviance à tout prix (spécialement chez les jeunes) et, dans tous les cas, les symptômes d'anomie, de perte du sens de la.vie propre, avec toutes les conséquences négatives sur les rapports affectifs et les solidarités sociales. Cette pauvreté humaine provient d'insatisfactions existentielles, qui résultent de l'évacuation des besoins immatériels fondamentaux : aimer et être aimé, être respecté dans son identité individuelle et sociale, vivre dans la sécurité, voir défendues sa culture et sa foi, etc. Certes, cette demande radicale de bonheur n'affleure pas toujours explicitement et demeure trop souvent censurée parce que les individus déjà largement privés de tout lieu de communication familiale et communautaire ne savent plus concrètement vers qui se tourner. (p.43)
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