Dieu Charité

Ni pure équivocité, ni simple univocité, la relation de l'eros et de l'agapè en Dieu doit s'interpréter dans le sens d'une métamorphose trinitaire de l'amour humain par la charité divine. Un parcours graduel passant respectivement par Richard de Saint-Victor, Origène, et Bernard de Clairvaux en montre le bien-fondé, dans une thèse qui cependant le déborde de part en part.

Ni l’équivocité ni l’univocité de l’eros et de l’agapê ne suffisent à dire la réalité de l’amour en Dieu. La première (l’équivocité) parce qu’elle risque à tel point de séparer la charité divine de l’amour humain que plus rien ne reste de commun de l’un à l’autre ; et la seconde (l’univocité) en cela qu’elle pense tant et si bien les modalités de l’amour divin sur le modèle de l’amour humain que plus rien ne demeure en propre à Dieu lui-même. L’univocité des termes de l’amour doit certes être posée pour ne pas rendre Dieu étranger à l’homme : « Dieu aime au même sens que nous » (Le phénomène érotique)¹. Mais on attendra cependant pas moins de leur équivocité qu’elle fasse surgir ce qui revient en propre à Dieu lui-même dans l’acte d’aimer les hommes : « Dieu transforme notre sens de l’amour » (Le phénomène charitable). Dieu est ainsi charitable non pas en cela uniquement qu’il oeuvre pour l’homme ou confie l’agapê aux bons soins de l’eros. Sa « charité » fait aussi voir en lui une puissance caractéristique et active d’amour (affectio) seule à même de convertir, sous le poids de la résurrection, notre faculté passive et limitée d’aimer (affectus). La métamorphose trinitaire de l’amour humain par la charité divine dit ainsi le spécifique du message chrétien comme tel. La prise en considération de la Trinité conserve en effet théologiquement dans l’équivocité ce que le simple syntagme du mot Dieu maintient philosophiquement [...]

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1. Voir. J.-L. Marion, Le phénomène érotique, Paris, Grasset, 2003, p. 341.