Jésus nous enjoint de conformer l’objet de notre prière aux demandes du Notre Père. Cet enseignement apparaît particulièrement actuel à une époque où, soucieux de notre manière de prier, nous ne le sommes pas assez du contenu de notre prière.

Le Notre Père, purification de la prière

Une interprétation de Mt 6,7-8

L’évangile selon saint Matthieu fait précéder l’enseignement du Notre Père d’un avertissement de Jésus : Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux : car votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez. Vous donc, priez ainsi : Notre Père... (Matthieu 6,7-9). Telle est tout au moins la traduction proposée par la Bible de Jérusalem. De manière générale, les traductions actuelles s’entendent pour interpréter ce passage comme une invitation à ne pas « rabâcher ». Par « rabâcher », entendons : « répéter sans cesse », de manière mécanique ou obstinée. L’original grec est le verbe battalogeo (βατταλογέω) : un hapax dans toute l’Écriture sainte, si bien qu’il n’est pas illégitime de s’interroger sur son sens. La Vulgate adopte une traduction plus prudente que celle de nos Bibles, et rend le verbe battalogeo par l’expression multum loqui : « parler beaucoup ¹ ».

L’objet du présent article est de proposer, à côté de la traduction usuelle de Matthieu 6,7-8, une autre traduction, reposant en particulier sur une interprétation différente du verbe battalogeo. Il s’agit de remettre à l’honneur un sens que l’on trouve chez les Pères grecs, chez saint Grégoire de Nysse notamment, et qui rejaillit sur notre intelligence du Notre Père. Les exégètes actuels connaissent cette lecture des Pères grecs, mais ils l’écartent, estimant qu’elle « obscurcit » le sens communément admis de « rabâchage ² ». Nous considérons au contraire qu’elle mérite d’être réhabilitée, non pas au détriment de l’interprétation usuelle, mais en complément de cette dernière.

La traduction que nous voudrions défendre ne se limite pas au verbe battalogeo, mais elle concerne l’ensemble des versets 7 et 8. La voici : Quand vous priez, ne parlez pas à tort et à travers comme les païens ; ils croient qu’en multipliant les paroles ils se feront exaucer. Ne les imitez donc pas : car votre Père sait ce qu’il vous faut, avant que vous ne formuliez une demande. Le verbe battalogeo n’est pas ici compris au sens du rabâchage, mais il est traduit par « ne parlez pas à tort et à travers ». On pourrait aussi proposer : « ne divaguez pas », « ne vous dispersez pas en paroles », « évitez les paroles vaines », ou même « ne dites pas n’importe quoi ». Dans cette interprétation, ce n’est pas la répétition qui est proscrite, même machinale comme dans le rabâchage, mais ce sont les demandes hors de propos. L’accent ne porte pas sur la manière de prier (éviter de se répéter), mais sur le contenu de la prière : toute...

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 1 «Orantes autem nolite multum loqui sicut ethnici ; putant enim quia in multiloquio suo exaudi.

 2 U. LUZ, Matthew 1-7, A Commentary, Fortress Press, 2007, p. 305, col.2. Ulrich Luz précise : « la tradition herméneutique n'a jamais accepté cette exégèse".