Parler pour rire et pour de vrai − Place du rire dans la pensée de quelques humanistes chrétiens

Chez Érasme,Thomas More et Rabelais, les nuances du rire renvoient à la folie paradoxale de la Croix : l’autodérision y apparaît comme la marque d’un sage qui reconnaît sa propre vanité et sa propre folie, jusqu’à devenir une dimension de l'imitatio Christi.

Parler pour rire et pour de vrai -  Place du rire dans la pensée de quelques humanistes chrétiens

L’humanisme chrétien possédait plusieurs attraits pour le christianisme du XXe siècle ¹ : parmi eux, on peut citer la propension à valoriser le rire. Il ne faisait peut-être que prolonger une tradition médiévale constituée du rire en chaire, d’une littérature comique et de rituels civils du rire (carnaval) ². À cet héritage vint s’ajouter l’apport de textes antiques nouvellement compris ou redécouverts à la Renaissance.

On évoquera ici succinctement trois auteurs : Érasme, clerc indépendant d’esprit, promoteur d’un changement profond au sein du christianisme, mais jamais passé à la Réforme, plume acérée dans la polémique et auteur d’un Éloge de la folie (1511) qui a connu un succès sans doute assez confidentiel avant que la modernité ne s’en empare. Son ami Thomas More, chancelier d’Angleterre, exécuté en 1535 pour avoir refusé d’approuver le schisme anglican et le divorce de Henri VIII, canonisé en 1935, a pu passer pour le saint patron de l’humour. Une prière par laquelle on demande à Dieu une bonne digestion, la grâce de savoir rire et de ne pas trop se prendre au sérieux, lui est souvent attribuée à tort ; elle est en fait due à Thomas Webb ³. Au-delà de la légende, force est de reconnaître qu’il a su utiliser les traits d’esprit (la tête sur le billot, dégageant sa barbe : « celle-là n’est pas à couper, elle n’a pas commis de trahison ⁴ »)...

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 1 Une étude reste à faire sur le renouveau des études érasmiennes et le catholicisme conciliaire (sans préjuger de l’apport du protestantisme à cet égard) : voir Jean-Claude MARGOLIN, « Introduction », dans Marcel BATAILLON, Érasme et l’Espagne, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 1998 (première édition 1937).

 2 Le livre ancien, contestable du point de vue de son argumentation et de l’histoire des idées, de Mikhaïl BAKHTINE, demeure un recueil d’échantillons intéressants pour s’initier à ce monde : L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970 (1965).

 3 Germain MARC’HADOUR, « Un charmant apocryphe », Moreana, XX (no 79-80), nov. 1983, p. 197-199.

 4 Germain MARC’HADOUR, Thomas More. Un homme pour toutes les saisons, Paris, Editions ouvrières, 1992, p. 46 citant le chroniqueur Edward Hall, lequel désapprouve cet humour dans ce contexte. Les récits diffèrent d’un auteur à l’autre, mais les traits d’humour ne manquent pas. Ailleurs, Thomas More dit au bourreau, au pied de l’échafaud : « aide-moi à monter, mon ami, je n’importunerai personne pour descendre » (Thomas STAPLETON, Histoire de Thomas More [1588], trad. A. Martin, Paris, L. Maison, 1849, p. 406).