quand le Père se tait. Approches du mystère de la descente du Christ aux enfers. Entretien.

La descente « aux enfers » du Samedi saint n’est pas anecdotique : elle est au contraire centrale pour comprendre l’étendue sans limites de la libération obtenue par la Passion et la mort de Jésus. 

Samedi saint – Quand le Père se tait

Approches du mystère de la descente du Christ aux enfers Entretien

Jan-Heiner Tück : L’historien juif de la littérature, George Steiner, a dit un jour que le Vendredi saint, la proclamation de la mort de Dieu, était derrière nous, mais qu’il n’était pas certain que Pâques, le jour de la Résurrection, arrive un jour. Notre époque est un long Samedi saint − Seriez-vous d’accord avec ce diagnostic ?

Walter Kasper : Pas tout à fait. Certes, beaucoup de contemporains le pensent et le ressentent, et les chrétiens eux-mêmes ne connaissent ni le jour ni l’heure de la Résurrection. Eux aussi sont souvent envahis par l’ambiance du Samedi saint qui s’est emparée des premiers disciples, la veille de Pâques, déçus et résignés à s‘enfuir. Mais une telle ambiance pré-pascale est bien éloignée de la théologie post-pascale du Samedi saint et du message originel du christianisme. Il enseigne : « Le Vendredi saint et le Samedi saint sont suivis du troisième jour, le jour de Pâques, jour de la Résurrection de Jésus d’entre les morts ». Il nous donne l’espoir confiant de notre propre résurrection. Les chrétiens ne devraient donc pas ressentir le Samedi saint comme un temps long, incertain et angoissant pour l’avenir. Au milieu des incertitudes, des angoisses et des tribulations de la vie, ils devraient vivre dans l’attente pleine d’espoir que Pâques les attend. C’est précisément dans le crépuscule de notre époque que nous sommes appelés à être les porteurs du flambeau de l’espérance du matin de Pâques. Mais le sommes-nous et le vivons-nous vraiment ? Ne risquons-nous pas, nous aussi, de retomber souvent, déçus et résignés, dans un Samedi saint à la fois post-chrétien et pré-pascal ?

Tück : Vers 1800 déjà, le « Discours du Christ mort du haut de l’univers, qu’il n’est point de Dieu » de Jean Paul ¹ passe en revue la vision du ciel vide et de l’homme orphelin − Quel effet ce texte a-t-il eu sur vous lorsque vous l’avez lu pour la première fois, et quelles conséquences a-t-il eu sur la critique de la religion au XIXe siècle ?

Kasper : La vision d’un ciel vide et d’êtres humains orphelins de sens sur la terre est dévastatrice et aboutit à la désolation du nihilisme. Même la critique de la religion du XIXe siècle n’a pas supporté ce nihilisme. Elle en a inversé le style. Pour elle, vider le ciel était la libération et le véritable accomplissement de l’homme. Pour Feuerbach, pour qui l’idée de Dieu était une projection humaine de sa divinité, le fait que l‘humanité − et chaque homme en particulier − récupère sa propre divinité, était le début d’un nouvel humanisme sans Dieu. Karl Marx était plus réaliste. Pour lui, Dieu et l’espoir d’un...

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 1 L’écrivain allemand Jean Paul (Richter), « Un songe » dans Siebenkäs, 1796. Voir l’article de Xavier TILLIETTE, sj, dans Communio 178 (mars-avril 2005) : « Le samedi saint spéculatif et la descente aux enfers », p. 83