J'ai même rencontré des affligés heureux

Foi et Lumière, à Lourdes, Pâques 1991 : la béatitude des affligés vécue dans tous ses aspects par les pauvres d'esprit que sont les handicapés mentaux.

Ce paradoxe des Béatitudes, nous sommes 13 000 à l'avoir vécu à Lourdes, au pèlerinage Foi et Lumière de Pâques 1991, vingt ans après le premier pèlerinage de Jean Vanier et de ses deux amis handicapés mentaux. Ils avaient alors durement senti que les « pauvres d'esprit » au sens le plus littéral n'avaient guère leur place dans l'Eglise, même dans un sanctuaire où l'on vénérait l'humble Bernadette, qui ne devait assurément sa sainteté ni à sa culture ni à sa science ! Des affligés, ces pauvres en intelligence, certes : d'abord de se savoir moins doués que les habiles et les malins, et de se cogner à leurs limites à chaque occasion de la vie la plus quotidienne ; ensuite, de s'éprouver rejetés par les soi-disant êtres « normaux » et relégués bien souvent hors de leur monde, exclus. Et ils portaient eux aussi leur lourd lot de peines, ces pèlerins venus de tous les continents, du Brésil, d'Egypte, des Philippines, du Ghana, de Moscou, d'Australie ou du Japon, lorsqu'ils se sont retrouvés dans l'immense basilique souterraine Saint Pie X. J'ai été, comme tous, saisie par l'immensité de la détresse humaine qui venait déferler aux pieds de la Vierge de Lourdes, par cette marée de fauteuils roulants, de visages tordus et de démarches contrefaites, par cette rumeur de cris rauques et de braiements qui s'élevait dans les intervalles de silence de cette première cérémonie du Jeudi Saint.

Peu à peu, au fil de ces cinq journées de pèlerinage, je n'ai plus vu ni les fauteuils, ni les démarches chancelantes ; j'ai vu des visages joyeux, — oui, je dis bien, joyeux, et c'était bien les mêmes visages —, des sourires accueillants et fraternels. [...]