André FROSSARD
La Communion des Saints
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n°75
Janvier - Février
1988 - Page n° 115
Le nouvel académicien a été appelé à témoigner au procès Barbie. Il publie un livre sur la notion de « crime contre l'humanité» : à chaque fois que l'on tente d'obscurcir en l'homme l'image de Dieu, on revient à la barbarie systématique des sacrifices humains.
Communio : Votre dernier livre [André Frossard, Le crime contre l'humanité (Robert Laffont, Paris, décembre 1987).] , est lié au procès Barbie, où vous avez été appelé à témoigner.
André Frossard : C'est à la demande de la partie civile et plus précisément, de Nicole Gompel, la fille du professeur Gompel qui est mort à Lyon, au fort Montluc...
..Où vous vous trouviez vous-même enfermé dans la « baraque aux juifs ».
J'avais été arrêté comme résistant, et on m'avait mis là parce qu'il n'y avait pas de place ailleurs, encore que le fait d'être juif ait figuré en première place dans l'acte d'accusation. Mais j'ai été arrêté en tant que résistant et non en tant que juif.
Et combien de temps y êtes-vous resté ?
Environ neuf mois, du 10 décembre 1943 jusqu'en août 1944. Et sur les 79 détenus que nous étions, 72 ont été massacrés ; les sept autres ont été mis dehors, dont moi. Un miracle...
Le professeur Gompel est-il mort avant ?
Oui, il est mort à mes pieds, des suites de la torture : il fut martyrisé par la Gestapo. On ne sait pas s'il fut arrêté comme juif ou comme résistant. Sans doute les deux.
Vous avez donc suivi ce procès très attentivement.
Bien sûr, et à la lecture des différentes déclarations, il m'est apparu que la notion de «crime contre l'humanité'» n'était pas claire et que le procès s'égarait. La notion de crime contre l'humanité date du procès de Nuremberg, où elle fut employée pour la première fois. En réalité, tout crime offense gravement l'humanité, quelle que soit la victime. Mais si l'on a forgé une expression spéciale, c'est qu'il y avait quelque chose de précis à (p.114) désigner. Le tribunal de Nuremberg a distingué le crime de guerre et le crime contre l'humanité, qui en est une sorte de variante, ne concernant que des civils, indépendamment des faits de guerre : déportation de populations civiles, massacres, ou encore meurtre des handicapés, expériences sur des êtres vivants. Finalement, en ce qui concerne la déportation de populations civiles, cette notion fut juridiquement retenue pour les juifs et les tziganes. Mais jamais, en France, on n'avait eu l'occasion de juger selon ce chef ; Barbie fut le premier cas. Et s'ouvrit alors un grand débat entre la Cour de Lyon, qui reprenait la définition de Nuremberg, et les associations de résistants qui voulaient étendre la définition en y incluant le meurtre des résistants par les Allemands. Ils ont obtenu gain de cause auprès de la Cour, si bien qu'on aboutit à quelque chose de vague : le crime de guerre associé à toute politique d'hégémonie... A mon avis la notion est trop étendue et perd de sa force.
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