Rembrandt et la figure du Christ – peindre la Révélation

Xavier PAROUTAUD
Rendre témoignage - n°222 Juillet - Aout 2012 - Page n° 99

Connaisseur avisé de la tradition iconographique, Rembrandt renouvelle la figure du Christ en ayant recours à un modèle vivant pour le représenter. En faisant de ce Christ « d’après nature » la figure centrale de son art, le discours pictural de Rembrandt se charge d’une dimension théologique et offre des images qui prétendent montrer l’Image incarnée en peinture.

Rembrandt-Tête du Christ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 2011, le musée du Louvre a organisé autour de Rembrandt une exposition2, dont le propos était d’examiner la possibilité que Rembrandt ait pu recourir à un modèle vivant pour représenter les traits du visage du Christ (les études consacrées au « Jésus historique » depuis plusieurs années sont souvent illustrées par l’une ou l’autre des têtes de Christ exécutées par Rembrandt et son atelier entre 1648 et 1656). Par l’étude de trois des principales œuvres exposées, nous nous proposons de réfléchir sur l’image du Christ : peut-on peindre le Christ ?

Christ, d’après nature

En 2011, l’exposition « Rembrandt et la figure du Christ » a constitué le point d’orgue des célébrations du quatrième centenaire de la naissance de Rembrandt, commencées en 2006 : il s’est agi de montrer la dimension religieuse de l’œuvre de l’artiste, laissée jusqu’ici de côté, sans se contenter de juxtaposer des chefs-d’œuvre.

En juillet 1656, dans un inventaire dressé à la requête de Rembrandt, en banqueroute, il est mentionné « un Christ d’après nature » (Nar het leven, n° 356). Cette expression troublante et paradoxale a toujours fait question3. Elle a le plus souvent été considérée par les historiens de l’art comme une erreur ou au mieux, un paradoxe. Quelle réalité se cache derrière cette expression ? La réponse nous semble se trouver dans un ensemble de sept petits tableaux (des huiles sur panneau de chêne de dimensions sensiblement égales, environ 20 × 25 cm) réunis au Louvre pour la première fois : ils formaient le cœur de l’exposition 4. Peints entre 1648 et 1656, ces tableaux, intitulés Tête de Christ, forment une série de trognes ou tronies5 qui prennent un modèle vivant, vraisemblablement un jeune juif habitant le quartier juif dans lequel habitait et travaillait Rembrandt6. Recourir à un modèle vivant pour représenter un personnage biblique est une particularité de l’atelier de Rembrandt. C’est un trait significatif de la figure du Christ que Rembrandt n’a cessé de représenter tout au long de sa vie jusqu’à ce tournant étonnant de la fin des années 1640.

Pour comprendre l’originalité de cette démarche, il faut la situer dans la tradition iconographique des visages du Christ : en premier lieu, les images acheiropoïètes (voile de Véronique, mandylion, suaire), auxquelles ont été notamment sensibles les artistes des Pays-Bas des XVe et XVIe siècles. Puis la lettre adressée en 836 à l’empereur Théophile par les trois patriarches orientaux, Job d’Antioche, Christophe d’Alexandrie et Basile d’Alexandrie, qui expose l’eikonismos du Christ par une description précise qui inspire les artistes qui ont précédé Rembrandt : [...]

 

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2. Rembrandt et la figure du Christ [Paris, Musée du Louvre, 21 avril – 18 juillet 2011 ; Philadelphie, Philadelphia Museum of Arts, 3 août – 30 octobre 2011 ; Detroit, Detroit Institute of Arts, 20 novembre 2011 – 12 février 2012], Lloyd DEWITT, Blaise DUCOS, George S. KEYES (dir.), Paris, Louvre éditions, 2011.

3. L’épreuve exceptionnelle de La pièce aux cent florins conservée à la Bibliothèque Nationale de France est accompagnée d’un poème manuscrit de la main d’un auteur contemporain de Rembrandt, Herman Frederik WATERLOOS, qui reprend également la formule déjà utilisée dans l’inventaire judiciaire de 1656 : « Ainsi l’aiguille de REMBRANTS peint-elle le Fils de Dieu d’après nature ».

4. Citons l’un des plus connus : Tête de Christ, 1648-1650. Huile sur panneau, 24,9 x 21,6 cm. Berlin, Staatliche Museen.

5. Terme hollandais pour visage ou trogne, les tronies sont des études de caractère ou d’expression, très présentes dans la tradition néerlandaise. Elles s’apparentent à la tradition d’Italie du Nord des bustes ou des têtes personnifiant des concepts comme la beauté ou la vieillesse. Rembrandt en exécute régulièrement depuis sa jeunesse en vue de compositions plus grandes, mais aussi pour elles-mêmes, afin d’étudier des effets d’éclairage et d’atteindre la réalité du modèle vivant. Plus que la ressemblance avec le modèle, c’est le caractère du visage qui est l’objet de la représentation ; le genre se situe ainsi à mi-chemin entre le portrait et la peinture d’histoire.

6. Cette hypothèse, si elle ne fait pas l’unanimité, repose sur des éléments néanmoins solides. Il faudrait montrer, ce qui dépasse le cadre de cet article, qu’elle s’appuie notamment sur la relation que la société d’Amsterdam entretient avec les juifs qui la composent et plus particulièrement sur la relation que Rembrandt entretient avec les juifs de sa cité. Rappelons seulement qu’au regard des contemporains de Rembrandt, les juifs de l’importante communauté d’Amsterdam s’inscrivent dans un rapport de filiation directe avec le peuple de la Bible.


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