Luigi MEZZADRI
L'Eglise : une histoire
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n°26
Novembre - Décembre
1979 - Page n° 57
L'étude objective de l'histoire de la piété des chrétiens montre que l'Eglise n'a pas été qu'un instrument d'oppression.
La première page, 57, est jointe.
POSONS tout de suite notre question fondamentale, en une formule provocante : l'histoire de l'Eglise est-elle celle d'une puissance ou celle d'une communion ? Je n'ai pas l'intention de faire de l'apologétique, mais seulement de montrer comment certains présupposés de méthode peuvent avoir des conséquences qui vont loin. Car il n'est pas difficile de placer une grille qui ne filtre que les faits qui démontrent telle ou telle thèse : on est prié de découper suivant le pointillé.
C'est ainsi, par exemple, que l'historiographie catholique s'est longtemps crue tenue de montrer que Luther devait être vicieux (Denifle) ou détraqué (Grisar). Car comment un rebelle aurait-il pu être authentiquement religieux ? Les communautés réformées (on parlait de sectes, jamais d'églises) apparaissaient comme des branches arrachées au tronc de l'Eglise une et sainte, et condamnées à sécher. Si l'on choisit ainsi les filtres à appliquer, on peut faire entrer faits et doctrines dans un cadre permettant de prouver que l'Eglise a bien réalisé son dessein de communion dans la foi. Mais les conclusions font violence aux documents.
C'est dans une optique opposée à l'apologétique que se place la lecture de l'histoire de l'Eglise qu'opère la Storia d'Italia, chez Einaudi. Giovanni Miccoli y a ordonné faits et périodes en une vision structurée, dont émerge une Eglise incapable d' « être un facteur de rupture des valeurs et des cadres existants » (1). Cette citation n'est pas isolée. Ainsi, l'auteur cite un texte de Gerhoh de Reichersberg (mort en 1169) : « Quiconque a renoncé par son baptême au démon, à ses pompes et à ses suggestions, même s'il ne devient jamais clerc ni moine, a cependant renoncé au monde. Celui-ci est tout entier placé dans le Malin, il est la " pompe " du diable lui-même. Or tous les chrétiens y ont renoncé. Dès lors, que ceux qui usent du monde soient comme s'ils n'en usaient pas. Si bien que, riches ou pauvres, nobles ou serfs, marchands et paysans, absolument tous ceux qui sont connus pour leur profession de christianisme, tous doivent rejeter ce qui est ennemi de ce nom et suivre ce qui lui est conforme. Tout ordre, toute profession sans exception possède une règle adaptée à sa qualité propre (p.57)
(1) G. Miccoli, « Storia religiosa », dans Storia d'Italia, 11, 1 : Dalla caduta dell'Imperio romano al secolo XVIII. Turin, 1974, p. 429-1079. Citation p. 798. C'est à cet ouvrage que renvoient les citations sans référence.
dans la foi catholique et la doctrine apostolique, et, en combattant comme il convient sous cette règle, pourra atteindre la couronne » (2). Pour Miccoli, il s'agit d'une « importante affirmation de principe, qui se situe dans le sillon de cet évangélisme antimonastique qui avait animé les prédicateurs itinérants de la fin du XIe et des débuts du XIIe siècle. Elle fut pourtant privée de son efficacité par une cléricalisation accentuée de la vie chrétienne. La religion de la grande masse des laïcs reste un christianisme subalterne et partiel, parce que les laïcs restent tributaires du clergé qu'ils considèrent comme privilégié, dans l'idée que seul l'état clérical permet et mérite une consécration religieuse. Une seule exception : la consécration du chevalier, laïc armé qui combat sous les ordres de la hiérarchie et défend la foi : le soldat du Christ se sauve en faisant son métier, non en dehors, comme les autres. Mais cette exception significative naît objectivement de l'exigence de donner à l'organisation ecclésiale un ancrage dans la société. La pensée chrétienne élabore une pastorale et une spiritualité qui puissent lui garantir de solides alliances de pouvoir et une constante capacité d'intervention » (p. 564).
Miccoli parle ensuite de la contre-réforme (sans parler de Trente) : les sources démontrent, selon lui, que « dans les zones arrachées au luthéranisme, la restauration catholique s'est faite non seulement grâce à une répression massive et minutieuse, mais aussi grâce à une réintroduction systématique des aspects les plus magiques du culte... » (p. 1045). Et il conclut en faisant observer comment le Concile de Trente aurait fermé t définitivement la d'une vie religieuse différente, d'une présence différente de l'institution ecclésiale dans la société, et en fin de compte, d'une société différente » (p. 1078).
Il serait intéressant de citer d'autres textes qui témoignent de la méthode de Miccoli. Par ce qu'il dit (sept pages sur le Miroir des âmes simples de Magherita Porete, quatre lignes sur sainte Catherine de Gênes), et par ce qu'il ne dit pas, il donne une image de l'Eglise constamment obscurcie d'ombres répressives, toujours à la recherche d'hérésies à étouffer, alliée aux pouvoirs, incapable de tout élan constructeur. C'est le Château de Kafka. Et l'idée implicite est que l'homme se fatiguera un jour de frapper à une porte qui ne s'ouvre jamais et ira frapper ailleurs.
Une telle attitude n'est pas isolée dans cet ouvrage. Les deux essais de Carlo Ginzburg le montrent (3). L'histoire religieuse y est plus ou moins répartie en deux époques : dans la première, on a une religion faite de magie et de folklore ; dans la seconde, après l'époque des Lazzari, considérés comme le dernier mouvement religieux autonome, la religion est irrémédiablement contaminée par la politique. Avec de telles prémisses, il est normal qu'on consacre une page aux manifestations place Saint-Pierre avec Gino Bartali, et... deux lignes à Vatican II.
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