Principe de plaisir et principes du plaisir

Antoine VIGOTTE
Le plaisir - n°40 Mars - Avril 1982 - Page n° 51

Le mépris du plaisir détruit l'amour, mais l'amour qui accepte le plaisir l'accomplit en un bonheur qui le dépasse.

 La première page, 51, est jointe.

TOUS les sentiments ont une caractéristique commune : de nous affecter avec plaisir ou avec déplaisir. Or, le sentiment n'est pas un épiphénomène de notre conscience ; il est la conscience immédiate, au coeur de notre subjectivité, de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nos passions, comme puissances actives, sont pénétrées de sentiment et l'aperception du plaisir et du déplaisir guide dès lors notre existence. « Les “pathè” (les passions ou dynamismes affectifs) sont les causes qui font varier les hommes dans leurs jugements et auxquelles s'attachent la peine et «le plaisir » (Aristote, Rhétorique, II, 1378a). On ne saurait donc tenir pour secondaire la question du plaisir. Le couple plaisir-déplaisir est au fondement de tout jugement de valeur. En régissant la conscience que la vie prend d'elle-même dans l'affectivité, ce couple est à l'origine de nos relations avec les choses et avec autrui. Il préside à l'assentiment et au refus, et cela dans toutes les sphères de l'existence, des plus élémentairement vitales aux plus spirituelles.

 

Peut-être est-on surpris, heurté même, de voir accordé au plaisir un pouvoir aussi étendu. Usuellement ce mot évoque ce qui convient au goût, l'agrément éphémère, la volonté plutôt arbitraire (« le bon plaisir »), ou la décision d'une haute cour, humaine ou divine, à laquelle « il plaît de... ». L'expérience d'une harmonie affective ou de la satisfaction un peu élevée appelle des mots plus nobles : jouissance, joie, bonheur, béatitude. Le langage ordinaire n'a pas coutume d'assimiler au plaisir le bonheur promis de la terre nouvelle où « ni deuil, ni cri, ni douleur ne seront plus ».

 

On ne contestera pourtant pas que le malheur et la tristesse sont des modalités du déplaisir. Cela nous indique que, si au plan logique, plaisir et déplaisir sont des contraintes symétriques, dans le fonctionnement psychologique ils sont dissymétriques. C'est là une observation capitale qui nous guidera tout au long de ces pages. C'est le déplaisir, en effet, qui, en déchirant une harmonie paisible, incite la prise de conscience de soi-même et du monde et qui déclenche le mouvement par lequel le psychisme sort de lui-même et se tourne activement vers le monde. Et le réseau des signes du déplaisir enserre l'existence tout entière. Des besoins élémentaires à la question du sens de la vie, l'aiguillon du déplaisir éveille la conscience aiguë d'une destination pour le plaisir d'abord entravée. Si le déplaisir ne limitait pas le plaisir ou (p.51) s'accomplit mais qui s'exténue lorsque la volonté consciente la poursuit comme sa fin. Aristote le savait déjà et il en a parfaitement formulé le principe en disant qu'il accompagne heureusement la santé, comme la fleur de la jeunesse. Reprenant une expression de l'Évangile, nous dirions qu'il est donné par surcroît. Rien n'illustre mieux l'ambiguïté paradoxale du plaisir que les deux retournements que nous avons signalés. Celui qui le dénie met son plaisir secret et morbide dans le déni et celui qui en fait le but et le sens de la vie, ferme sa main sur le vide.

 

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