Alain CUGNO
Le plaisir
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n°40
Mars - Avril
1982 - Page n° 10
Le plaisir, dès qu'il est vécu selon son essence, offre une ouverture au temps et au monde qui en fait un des lieux où s'enracine la liberté.
Les deux premières pages, 10 et 11, sont jointes.
AVANT même que le chrétien ait commencé à parler, on croit savoir ce qu'il dira du plaisir : le plaisir est très bon, puisqu'il appartient à un ordre créé par Dieu — mais:
1) il y a plaisir et plaisir; et
2) la structure du plaisir est telle qu'il faut le normer par autre chose que lui-même quelque chose de « meilleur» et de « plus noble », car la jouissance doit céder; devant la joie, la possession devant la dépossession, le besoin devant le désir.
Cependant, la simplicité édifiante de ce schéma cache de sérieuses difficultés. Tout « oui, mais ... » autorise ensuite à faire comme si l'on avait démontré un« non, pas du tout» d'autant plus solide qu'il répond par avance a tout argument opposé, puisqu'il a tout concédé dans le oui sans avoir à en tenir compte. Dès lors, reconnaître la positivité du plaisir demande l'affirmation de celle-ci jusqu'au bout, sans la moindre réticence ou réserve car .une ,certaine manière de dire « le plaisir est bon, mais il doit être dépassé ); revient à dire « le plaisir est mauvais ». Notre but n'est pas de trouver quelque « Juste milieu », mais en poussant au maximum l'exigence interne du plaisir, nous voudrions le normer par sa bonté.
Nous pensons pouvoir montrer que le plaisir, le rapport que l'on a avec le plaisir, est précisément lié au rapport que l'on a avec la liberté. La méfiance à l’égard du plaisir nous semble être tout autre chose qu'un signe de vertu mais bel et bien le pire: la peur de la liberté.
Ou bien l'on est libre à l'égard du plaisir, et l'on est libre — ou bien l'on n'est pas libre à l'égard du plaisir, et l'on n'est pas libre du tout. C'est une évidence. Et l'on pourrait remplacer ici !e mot plaisir par n'importe quel terme, y compris par le mot liberté lui-même. Aussi bien, le point que nous voudrions examiner est-il le suivant : comment la liberté à l'égard du plaisir ne tient-elle pas seulement à la nature de la liberté, mais aussi à la nature même du plaisir? (p.10)
MAIS la situation n'est ni simple ni claire. Il nous faut d'abord répondre à ceux qui pensent pouvoir suspecter le plaisir. En quoi résident essentiellement les critiques du plaisir? Le plaisir est toujours disqualifié, nous semble-t-il, à cause de son immédiateté: toute critique du plaisir passe par un moment où ce qui est en jeu n'est pas le plaisir en tant qu'éprouvé, mais autre chose, qui porte sur le temps. Le plaisir meurt de satiété, dans la fulgurance d'une rencontre. Par là, le plaisir ne servirait pas les intérêts de l'esprit, mais les oublierait. Le plaisir serait disqualifiable, parce qu'il enfermerait. Toute critique du plaisir s'oppose à lui en tant qu'il empêcherait autre chose. Mais qu'empêcherait-il? Si nous disons un « plaisir plus grand », nous nous opposons au plaisir au nom du plaisir, ce qui en soi n'est pas contradictoire, mais fait intervenir une volonté de calculer qui ne peut recevoir son énergie que de l'esprit de jouissance dont précisément il faut se débarrasser pour pouvoir accéder à l'étage supérieur. Si l'on dit « autre chose qui vaut mieux que lui», il devient difficile de ne pas y voir une condamnation du plaisir comme tel: « l'autre chose », dans cette hypothèse, n'est pas le plaisir. Qu'est-ce alors? Une valeur supérieure au plaisir lui-même? Mais nous tombons alors dans le sophisme du « oui, mais ... ».
Nous pensons restaurer le plaisir dans sa dignité par la position de trois hypothèses:
1. La stagnation du plaisir en lui-même, le plaisir qui enferme, la limitation et la réduction aux plaisirs « bas », ce n'est en fait rien d'autre que le refus du plaisir lui-même, la peur du plaisir, son exténuation affolée, et non sa glorification. L'hédonisme est l'une des formes de la peur du plaisir. Il a simplement choisi de flatter son tyran.
2. Le plaisir sans une loi, sans une démarcation explicite entre des différences, n'est pas le plaisir. Le plaisir sans interdit ne peut se constituer, pour autant que l'interdit est la forme socialisée de la différence. Mais l'interdit n'est jamais l'interdit du plaisir. Il serait plutôt l'interdit du refus du plaisir.
3. Non pas, comme on le dit sans doute trop souvent, que ce soit l'attrait de l'interdit qui donne du sel au plaisir. C'est paradoxalement le mouvement par lequel le plaisir est posé comme non coupable qui fait monter en lui une exigence proprement éthique. Ce n'est qu'installé dans sa propre bonté qu'il peut se saisir lui-même en s'ouvrant à l'extériorité de la loi, de la parole donnée, de la différence (entre moi et l'autre, entre moi et ce que je mange, etc.).
Pour fonder cela, il suffirait, pensons-nous, que la description du plaisir fasse apparaître une structure plus complexe que celle habituellement donnée, que l'on puisse voir en lui un moment fondamental et entièrement positif, tenant encore en face de tout ce qui pourra être dit sur l'ascèse et la dépossession. On pourrait noter ici que les textes qui parlent d'ascèse et de dépossession le font toujours au nom d'une possession plus haute, que le refus d'avoir maintenant sa récompense se fonde sur une récompense vraiment divine, que Jean de la Croix indique qu'il y a plus de joie et de récréation dans la non-possession des créatures qu'en leur possession, etc. Si l'on ne veut pas que de tels textes aillent alimenter la machine de la pure jouissance et donc (p.11)
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