L'Église et la promotion humaine

Henri DE RIEDMATTEN ET PAUL GROSSRIEDER
La justice - n°16 Mars - Avril 1978 - Page n° 64

Le conseil pontifical " Cor Unum "

 La pratique concrète de la solidarité entre les hommes suppose le réalisme. C'est pourquoi le Conseil Pontifical « Cor Unum » suscite, coordonne et organise les interventions d'organismes catholiques pour venir en aide, ponctuellement ou à longue échéance, aux plus défavorisés.

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PENDANT longtemps et jusqu'à un passé tout récent, l'Église a occupé parfois presque à elle seule, le premier plan des activités de promotion humaine. Ce rôle historique, surtout dans les domaines de la santé et de l'éducation, l'Église l'a joué en tant que corps social organisé, en tant qu'institution. Plus stable, mais aussi bien plus largement ouverte aux besoins des hommes que les institutions civiles, elle a été pour des siècles un agent capital de civilisation, au sens le plus humaniste du terme.

 

Toutefois, depuis que la « communauté politique » s'est préoccupée de façon toujours plus grandissante de se doter de moyens adéquats pour prendre à son compte la promotion du bien social, l'Église se voit souvent reléguée à une place moindre dans les activités qu'elle dirigeait sur le même objectif. Quelques questions fondamentales ne manquent pas de se poser à elle à l'occasion de la présente mutation. Étant donné les fonctions propres de l'État et l'ampleur des moyens dont il dispose pour y faire face, le moment n'est-il pas venu pour l'Église de lui céder tout ce terrain ainsi que l'organisation et les activités qu'il requiert ? N'a-t-elle pas une mission plus pressante que de se prêter à des œuvres qui ont été essentiellement de « suppléance » ? Est-il justifié de dilapider des forces raréfiées par la déchristianisation dans des activités pour lesquelles on manque de compétences et de moyens. et qui ne vont pas sans un relent de paternalisme désuet, voire même un goût peu évangélique du pouvoir ?

 

Promouvoir la charité, entreprise d'Église

 

Avant de tenter de donner une réponse à ces questions, il n'est pas déplacé de rappeler, à la suite de Vatican II, le changement profond des conditions dans (p.64) lesquelles l'Eglise aborde les questions temporelles. Elle prend aujourd'hui avec décision ses distances à l'endroit de ce qui relève des seules instances séculières. Elle affirme l'autonomie des réalités temporelles et définit de très près les limites de sa compétence sur des questions politiques. De cela, il faut tenir bon compte pour apprécier l'esprit et les formes dans lesquels elle se trouve amenée à maintenir comme corps institutionnel des activités de promotion humaine.

En outre, il importe de mettre au clair ce qu'on entend par «promotion humaine». La plupart des experts, encore que leur terminologie ait évolué, la réduisent à un programme de développement socio-économique. Force est d'avouer que si elle n'est rien de plus, l'Église sera bien avisée de la laisser entièrement aux mains de ceux qui s'y entendent en politique sociale et économique. Mais on sait avec quelle insistance les derniers papes ont marqué l'ampleur d'une authentique promotion ; la formule de l'Encyclique Populorum Progressio (PP) : «développer tout homme et tout l'homme» , a trouvé un accueil empressé de la part de tous les milieux. Il ne s'agit pas de réduire le processus de la promotion à quelque vaste transfert de ressources, mais de réaliser au travers d'elle «un monde plus humain pour tous, où tous ont à donner et à recevoir» (PP., n° 44). Nous touchons à la motivation première de la promotion dans la vue de l'Eglise, qui est la seule à faire de la charité une condition sine qua non à un avancement de l'humanité digne de celle-ci.

Outre que nous rencontrons ainsi la spécificité de l'enseignement de l'Église sur la question sociale, nous y découvrons également la raison pour laquelle, non contente d'exercer à cet égard sa fonction enseignante, elle tient de son devoir d'y ajouter l'engagement par l'action pour la promotion. Que serait en effet une charité sans actes ? «La prière de tous doit monter avec ferveur vers le Tout-Puissant pour que l'humanité, ayant pris conscience de si grands maux, s'applique avec intelligence et fermeté à les abolir. A cette prière doit correspondre l'engagement résolu de chacun, à la mesure de ses forces et de ses possibilités, dans la lutte contre le sous-développement. Puissent les personnes, les groupes sociaux et les nations se donner la main fraternellement, le fort aidant le faible à grandir, y mettant toute sa compétence, son enthousiasme et son amour désintéressé. Plus que quiconque, celui qui est animé d'une vraie charité est ingénieux à découvrir les causes de la misère, à trouver les moyens de la combattre, à la vaincre résolument» (PP., n° 75). Forte de cette conviction, l'Église contemporaine, à ses divers niveaux, entreprend hardiment des actions de promotion intégrale sous les mille formes que l'on sait ; l'exercice de la charité appartient à l'essentiel de sa vie.

 

Charité, justice et évangélisation

 Mais est-il exact que les exigences du développement et la libération des contraintes injustes, le progrès de tout l'homme et de tous les hommes relèvent de la charité ? N'est-ce pas faire fi du principe premier de la promotion, à savoir qu'elle s'accomplit par l'intéressé lui-même ? La charité n'implique-t-elle pas un sentiment de supériorité étranger aux exigences en cause ici ? Ne faut-il pas réserver la charité aux œuvres classiques de miséricorde le secours immédiat à l'indigent, la couverture des nécessités premières, le soin des cas sans espoir d'amélioration,a la limite les vastes actions d'urgence lors de catastrophes naturelles ou autres ?

Beaucoup, — et pas seulement en-dehors de l'Église —, se rendent à ces raisons et séparent le domaine de la justice de celui de la charité. Ils revendiquent pour la première l'autonomie au regard de la seconde. Du coup, on détache (p.65) l'entreprise de promotion de la compétence de l'Église comme telle. On se situe dans un domaine de réalités ou le laïc a son champ propre ; il attend de l'Église un enseignement de base, des directives doctrinales, une reconnaissance de la qualité de ses initiatives, mais rien de plus !

L'autorité enseignante de l'Église ne partage pas de telles positions. L'Encyclique Populorum Progressio, en attribuant à la charité une place éminente dans les actions de promotion qu'elle recommande, n'opère pas de délimitation d'objectifs entre charité et justice. «La règle de justice» , dit bien plutôt Gaudium et Spes, est «inséparable de la charité». Les actions propres à la justice ne sont ni oubliées ni annulées par cette intervention de la charité, mais c'est elle qui les provoque et les commande. Quand l'Église vise à donner à chacun son dû, œuvre relevant éminemment de la justice, elle ne se satisfait pas d'avoir mesuré ce dû, mais se préoccupe bien davantage de toute la personne du «chacun» . L'Église ne pose jamais sur ses yeux le bandeau de la justice ; nourrissant une estime de fond pour tout l'homme, elle n'est pas tentée pour autant d'avantager l'un au détriment de l'autre. Cette motivation de charité décante les interventions de l'Église dans l'intérêt de la promotion intégrale, et leur confère leur qualité propre comme elle détermine son objet premier. Ici s'applique parfaitement ce que dit Evangelii Nuntiandi (EN.) du type de promotion qui retient l'attention et l'action de l'Église :

 

«De la libération que l'évangélisation annonce et s'efforce de mettre en œuvre, il faut dire... :

— elle ne peut se cantonner dans la simple et restreinte dimension économique, politique, sociale ou culturelle, mais elle doit viser l'homme tout entier, dans toutes ses dimensions, jusque et y compris dans son ouverture à l'absolu, même l'Absolu de Dieu;

— elle est donc rattachée à une certaine conception de l'homme, à une anthropologie qu'elle ne peut jamais sacrifier aux exigences d'une quelconque stratégie, d'une praxis ou d'une efficacité à court termes» (EN., n° 33).

Ainsi, au travers de la charité, promotion et évangélisation sont-elles étroitement liées l'une à l'autre ; et tout d'abord parce qu'évangéliser sans promouvoir est contre l'amour. Comment proclamer le commandement nouveau sans servir la croissance de l'homme par la justice et les œuvres de paix ? Pour l'Église ensuite, promotion et évangélisation procèdent d'une même prémisse : comme nous presse l'amour du Christ, ainsi nous presse d'agir l'amour de chacun de nos frères pour le conduire à sa plénitude dans un épanouissement aussi complet que possible de son potentiel humain. Le Christ exauçait les demandes des malades et des besogneux, tout en leur donnant par la rémission de leurs péchés l'intégrité de la possession du Royaume.

 

La Lettre d'Institution du Conseil Pontifical Cor Unum

 

Le 15 juillet 1971, Paul VI créait au sein de la Curie Romaine le Conseil Pontifical Cor Unum pour la promotion chrétienne et humaine. Cet organisme, qui devrait exercer son activité en provoquant la concertation des intéressés et leur propre formulation des méthodes susceptibles d'harmoniser leurs propos et leurs activités, était avant tout un organisme de coordination des nombreuses entreprises surgies dans l'Église en vue de la promotion et de l'assistance. Cette coordination se fait à la lumière des principes mentionnés ici-même, comme le démontrent plusieurs passages de la Lettre d'Institution que nous nous proposons de citer. (p.66)

C'est un devoir de l'Église dit le Saint-Père, que «de se mettre de son mieux et avec un grand sens de l'humanité au service de tous» . La charité y incite ; «elle offre une aide efficace aux hommes qui doivent résoudre aujourd'hui des questions complexes devant lesquelles parfois les moyens leur manquent ou leur volonté se décourage, alors qu'ils sont fréquemment victimes de la souffrance, de la faim, de l'angoisse, vu que, cruellement atteints par les calamités naturelles, ils se trouvent privés de tout secours et réduits à la misère». La multitude des organismes de secours dans l'Eglise se situe dans le sillage de cette profonde impulsion à continuer l'action du Fils de Dieu «qui est venu non pour être servi, mais pour servir» (Matthieu 20,28). Or, leur efficacité comme leur témoignage commandent aujourd'hui de rechercher «une collaboration organique» qui leur permette d'atteindre «avec plein succès leurs objectifs dans les domaines de l'aide charitable, de l'assistance et du développement». Ce sont là des entreprises tellement liées à la vie intime de l'Église que la tâche de pourvoir à leur bon ordre ne revient à personne d'autre qu'au successeur de Pierre : «Il Nous semble en vérité que ce devoir appartient au premier chef au successeur de Pierre et relève de la charge apostolique qui Nous a été confiée par la volonté divine, car celle-ci Nous a établi Pasteur de l'Église romaine qui préside à l'assemblée universelle de la charité».

Cor Unum n'est pas un organisme directif et n'assume ni la direction ni la responsabilité de tous les efforts surgis au sein de l'Église catholique dans le secteur de sa compétence. Peu importe la méthode du travail ! Sa création au sein de la Curie Romaine témoigne du degré d'engagement de l'Église et de son chef visible dans les actions de promotion. Paul VI tient du devoir de sa charge de veiller à leur cohérence et d'apporter à travers leur bon fonctionnement un exemple et une stimulation « à toutes les nations ».

 

Une politique d'Église

 

  L'Église ne prétend pas couvrir l'ensemble des tâches de promotion. Elle en prend sa part au titre du pluralisme et du principe de subsidiarité. Mais comment fixer ses préférences ?

Dans le passé, les choix, en-dehors de l'enseignement organisé presque partout au niveau national, ont été généralement l'affaire d'un secteur ecclésial précis, sensibilisé à des besoins concrets immédiats : le diocèse, la mission confiée à une famille religieuse, la paroisse, etc. Le succès des microréalisations prouve que ces projets sont nés à même le sol revêtent aujourd'hui encore une grande valeur de formation humaine, tandis qu'ils s'intègrent volontiers dans un plan pastoral. Cependant, les exigences que posent l'approfondissement de la notion de promotion, l'ampleur et le rythme avec lesquels il faut procéder, amènent à un dépassement de la situation souvent dispersée dans laquelle les actions d'Église se sont longtemps effectuées. Interviennent pour cela des raisons d'économie et de bonne administration, mais aussi le souci d'éviter des disparités dues non aux mérites des cas, mais à une série de facteurs contingents qui suscitent et font ici aboutir nombre de projets tandis que là rien ne bouge.

La solidarité de l'Église universelle s'exerce, aujourd'hui, d'une façon plus organisée et plus réfléchie. Les responsables des contributions à destination des églises locales des pays en voie de développement se sentent tenus de répartir à bon escient ce que leur confie la générosité des fidèles. On ne veut pas seulement être rassuré sur la bonne foi des bénéficiaires, voire sur leur capacité de gestionnaires, mais aussi être certain que l'action financée sert réellement, et de (p.67) préférence de façon durable, la promotion intégrale de ceux en faveur desquels le projet est fait. Ceci suppose la garantie que le projet n'échouera pas à plus ou moins rapide échéance, faute d'avoir été inséré dans le cadre d'un effort global de promotion intégrant divers secteurs complémentaires. Ainsi, les exigences de l'assistance extérieure confrontent-elles dans chaque pays l'Église avec la nécessité d'arrêter les grandes lignes des activités qu'elle patronnera et les priorités qu'elle appliquera.

Mais c'est du point de vue pastoral surtout que l'Église tient à bien définir son programme : il s'agit de lui conférer sa signification pleine de témoignage. Celui-ci sera porté au plan national afin d'exercer tout son impact et de manifester largement l'attitude de service du Peuple de Dieu. Coordination, sûrement ! Mais plus encore la charité évangélisatrice exige que l'Église établisse une politique de ses engagements et se dote des instruments qui lui permettront d'être fidèle à ses options.

Il s'agit d'un programme-cadre d'inspiration pastorale qui ne saurait être l'équivalent du programmé socio-économique du gouvernement, dont par ailleurs il est tenu bon compte. On ne prétend pas prévenir ou étouffer les initiatives prises aux divers niveaux des structures du Peuple de Dieu. Au vu des nécessités du pays, des possibilités de l'Église, de l'importance des objectifs dans une vision chrétienne, le programme de l'Église détermine les types d'activité, les secteurs géographiques et surtout les classes de population prioritaires. Il énonce aussi des critères sur le type, la forme de réalisation et les méthodes qui caractérisent une action d'Église.

 

Le choix des secteurs

 

Une question préliminaire se pose : jusqu'où l'Église doit-elle encore assurer des tâches de suppléance au vu de l'incapacité ou de l'impuissance des autorités publiques à maîtriser une situation de grave carence, qu'elle soit épisodique ou continue ? Il n'y a pas à cela de réponse générale. L'Église se veut au service des pauvres et des plus démunis ; elle a une sensibilité qui lui donne de discerner les besoins et la fait se hâter d'agir, alors que les pouvoirs politiques sont moins lucides et plus lents. C'est ainsi qu'à l'occasion de la sécheresse du Sahel, l'Église fut la première à s'alarmer et à donner l'alarme sur la gravité de la situation et l'impérieuse nécessité d'agir. Chaque pays constitue de ce point de vue un cas particulier : c'est à l'église « locale » de juger et d'agir avec une très large vision et une générosité sans borne. Elle gardera pourtant conscience de deux écueils importants : 1. mal apprécier sa capacité d'action, lancer des plans irréalisables et susciter des espérances bientôt frustrées ; 2. pratiquer dans certains cas une politique qui engendre une impression de puissance et de supériorité, dont les autorités publiques prendront aisément ombrage. Toute action basée plus sur une fonction de suppléance que sur une complémentarité, postule que l'Église ne prolonge pas son intervention plus qu'il est nécessaire, et ne se mette pas en concurrence avec d'autres instances (et surtout les pouvoirs publics).

Quand il s'agit de définir les secteurs d'action « complémentaire », on se convaincra de ce que l'Église en principe n'assume pas n'importe quoi n'importe comment. Si elle a un titre à se réclamer des principes de subsidiarité et du pluralisme, c'est que ses activités portent la marque de sa nature propre. Les engagements souscrits le seront donc dans ce qui est au premier plan des préoccupations de l'Église ; ils comportent, de façon aussi directe que possible, une valeur de témoignage et visent au plus près la promotion intégrale de (p.68) l'homme. C'est la raison pour laquelle l'éducation (au sens complet du mot, c'est-à-dire la formation progressive de l'homme vers sa plénitude) tient toujours une place de choix dans les activités sélectionnées par l'Église. Ceci comprend l'école, mais la dépasse ; il s'agit de l'éducation des adultes aussi bien que des jeunes gens et des enfants, de la formation au sens social et aux requêtes de la promotion, aussi bien que d'alphabétisation, de rudiments d'instruction, d'apprentissage à prendre en main son destin au sein de sa communauté.

La préoccupation de la santé ressortit aussi à la promotion intégrale de l'homme, surtout dans les pays en voie de développement où les maladies, les infirmités et les épidémies comptent parmi les handicaps majeurs dans la marche vers une condition d'autonomie et de dignité. Cependant l'Église, en continuant et, le cas échéant, en renforçant son intérêt traditionnel pour cé secteur, en infléchira volontiers l'accent sur l'aspect promotionnel des actions de santé. Elle se montrera donc hautement intéressée par la mutation actuelle qui substitue à des actions devenues « élitistes » l'ensemble de ce qu'on appelle « les actions primaires de santé ».[[Voir à cet égard le rapport d'un groupe de travail convoqué par Cor Unum et largement répandu parmi les agents catholiques de la santé dans les pays en voie de développement : «Actions de santé pour une promotion humaine» , Cité du Vatican, 1977.]].

  L'Église retiendra aussi comme une priorité le souci communautaire, c'est-à-dire le projet qui vise l'individu au travers de sa solidarité avec ses semblables au niveau local. L'Évangile est le message de l'amour des hommes entre-eux, de l'appréciation de l'homme par l'homme, et du besoin qu'a chaque homme de son semblable. La paternité divine, la rédemption dans le Christ confèrent leur véritable dimension à ces traits ; il importe qu'un reflet s'en retrouve dans les actions lancées par l'Église.

Celle-ci évidemment a le souci de tout ce qui rend l'homme plus maître de son destin, de ce qui modifie des conditions socio-économiques par trop oppressives et déprimantes, de ce qui améliore les milieux de vie, de travail et de loisirs. Si la revendication des droits de l'homme n'est pas absolument identique à la promotion, la possession de ces droits est un des objectifs à assurer par la promotion. Souvent en effet, à côté de l'iniquité des structures de la société, des conditions culturelles et économiques s'opposent par la force des choses à la possession par chacun de ses droits.

La mise en pratique d'une telle politique pose de délicats problèmes de coopération avec l'État. Il revient aux hiérarchies des églises nationales d'évaluer les « signes des temps » et d'utiliser au mieux, dans l'esprit de la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, les libertés qui leur sont concédées. La « communauté politique » ne crée ni ne constitue elle-même le bien commun, mais l'organisation concrète des conditions qui permettent de l'atteindre lui revient. En fonction de ces deux critères, recherche inlassable du bien commun et respect des compétences de la « communauté politique », l'aménagement d'une coopération doit être possible, mises à part les situations d'injustice flagrante où l'État empêche délibérément la recherche du bien commun.

 

Les méthodes

 

A côté de ces secteurs, l'Église déterminera aussi des critères de forme et de méthode pour la fixation de ses' choix et la conduite de ses actions. Le principe reste le même : les actions d'Église ne sauraient jamais être séparées du souci (p.69) d'évangéliser ; elles reflètent le contenu de la Bonne Nouvelle et le sens de ses appels. Dans cette perspective, toute action de promotion menée par l'Église porte la marque d'une ouverture et une aspiration au bonheur qu'annonce l'Evangile. Il ne s'agit ni de pression indue, ni de prosélytisme par le truchement d'avantages déplacés, mais d'une transparence et d'une attraction qui amènent l'homme à dépasser ce qui lui est offert dans l'ordre terrestre. L'Église conformera donc ses actions aux exigences du témoignage. Si elle se veut un infatigable agent de service, elle évitera de donner l'impression d'être une puissance politique ou économique, ou encore une entreprise en rien différente des instances séculières. L'argent placé en des œuvres voyantes, dotées d'un raffinement de techniques insolites, conçues dans le souci d'une perfection inspirée des modèles d'une autre civilisation plutôt que dans la volonté de s'adapter à la culture locale, fera, comme on dit, « contre-témoignage ». Les ressources iront volontiers à des actions plus terre-à-terre, plus diffuses, plus utiles aussi. On a noté avec justesse que le passage d'une politique hospitalière très sophistiquée aux actions primaires de santé ne constituait pas forcément une économie matérielle. Sûrement pourtant, le rendement et le crédit de ces actions sont plus grands et l'accueil que leur réservera la population beaucoup plus chaleureux.

 

Enfin l'Église, dans sa mission éducatrice et évangélisatrice, patronnera de préférence les projets basés sur l'exercice de la liberté et de l'intéressement de tous à l'action. Ce n'est pas le lieu d'étudier les modalités à respecter pour arriver à cette fin, mais pour les projets qui s'élaborent dans le cadre de l'Église, il s'agit d'une règle à faire observer le plus généralement et le plus rapidement possible.

 

 

ON sait que dans les lettres de saint Ignace d'Antioche, tout au début de l'histoire de l'Église, celle-ci est identifiée avec la charité. Ce trait lui est essentiel ; il est à la racine de sa proclamation du Message, du témoignage qu'elle lui porte, de l'efficacité qu'elle en manifeste. Il n'est aucun engagement d'Église pour la promotion et la libération de l'homme contemporain qui puisse être soustrait à cette empreinte première. Celle-ci sans doute pose ses exigences qui ne sont pas légères, mais en même temps qu'elle donne aux actions d'Église leur note propre, elle manifeste le devoir comme le droit de l'Église de s'affirmer, à la mesure de la générosité de ses fils, comme un agent décisif du « développement de tout homme et de tout l'homme ».

 

Henri de RIEDMATTEN et Paul GROSSRIEDER

 


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