Le martyre chrétien face à sa perversion idéologique

Jean-miguel GARRIGUES
Bienheureux persécutés - n°70 Mars - Avril 1987 - Page n° 48

Mourir pour rendre témoignage à Dieu, non à soi-même ou à « ses idées » ; mourir par amour pour Dieu, non par haine du monde : c'est là ce qui distingue le martyre chrétien de sa perversion dans le gnosticisme dualiste et ses résurgences contemporaines, nazisme et léninisme.
 
Le martyre chrétien face à sa perversion idéologique
ETRE prêt à donner sa vie dans le martyre a depuis toujours représenté pour l'apologétique chrétienne un des critères d'authenticité permettant de distinguer la foi théo- logale de la simple opinion religieuse. S. Irénée de Lyon écrivait déjà au II e siècle à propos des gnostiques qu'il combattait : « Voilà pourquoi l'Église, dans son amour pour Dieu, envoie en tout lieu et en tout temps une multitude de martyrs au-devant du Père. Quant à tous les autres (les gnostiques), non seulement ils sont incapables de montrer cela chez eux, mais ils nient qu'un tel témoignage  (martyria en grec) soit nécessaire : le vrai témoignage, à les en croire, c'est leur doctrine. Aussi bien durant tout le temps depuis lequel le Seigneur est apparu sur la terre, c'est à peine si l'un ou l'autre d'entre eux, comme s'il avait lui aussi obtenu miséricorde, a porté l'opprobre du Nom (Actes 5, 41) avec nos martyrs et a été conduit avec eux au supplice, comme une sorte de supplément qu'on leur eût octroyé» (1). La pointe à retenir de l'argument apologétique de S. Irénée est celle-ci : « Le vrai témoignage, à les en croire, c'est leur doctrine ». Les gnostiques, pour reprendre une terminologie chère à S. Jean dont dépend personnellement S. Irénée, « se rendent témoignage à eux-mêmes » (2). A l'opposé, le fidèle de l'Église, qui professe la confession apostolique, rend témoignage à Celui qui l'a envoyé. Il ne souffre pas pour ses opinions, mais dans la persécution il manifeste que la vérité révélée dont il témoigne, il l'a reçue d'un plus grand que lui. En 156, lors de son martyre à Smyrne, l'évêque S. Polycarpe, le maître immé- diat de S. Irénée, illustre bien ce témoignage rendu à l'Autre par (1) S. Irénée de Lyon, Adversus Haereses, IV, 33, 9. (2) Cf. Jean 3, 31-34 ; 5, 31-32 ; 8, 13-14 ; 18, 37 excellence qu'est Dieu : « Voilà quatre-vingts ans que je le sers et jamais il ne m'a fait aucun mal. Pourquoi donc blasphèmerais-je mon Roi et mon Sauveur ?» (3). Par rapport aux gnoses théosophiques, telles que celles com- battues par S. Irénée, le témoignage du martyre constitue un critère valable de foi chrétienne. Il le demeure encore aujour- d'hui : pour les simples réductions de la foi révélée à des opi- nions tout humaines. Par contre, il n'en va pas ainsi du gnosticisme manichéen apparu au III e siècle. Celui-ci est dualiste et donc anticosmique et antihumaniste. La création matérielle, la société civile et ses autorités politiques, l'ensemble de la vie incarnée étant considérés par lui comme l'oeuvre d'un principe mauvais, le gnostique manichéen peut prétendre faire sienne la parole de S. Paul : « Pour moi mourir m'est un gain » (Philip- piens 1, 21). Aussi verra-t-on Mani lui-même mourir crucifié en 277 et des cathares du XIII e siècle se jeter souvent d'eux-mêmes dans les bûchers destinés à leur exécution. Le gnosticisme dualiste est une imitation perverse de la contestation chrétienne du péché du monde : le chrétien annonce la grâce du salut qui perfectionne sans l'abolir la nature de ce dernier, le dualiste prétend substituer une sur-réalité « parfaite » à la pseudo-réalité démoniaque de l'ici-bas (4). C'est pourquoi le second recherche le martyre, mais il en falsifie le sens. Si le chrétien « imite la passion de son Dieu » (S. Ignace d'Antioche), ce Dieu est celui « qui a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils » (Jean 3, 16), le manichéen meurt par haine du monde tel qu'il va. De manière plus subtile que le gnostique théosophe, lui aussi se rend témoignage à lui-même : quand il meurt pour sa cause il ne vise qu'à prouver l'irrémédiable corruption du monde qui le persécute et manifester ainsi la vérité de sa doctrine qui le déclare perdu. Le chrétien meurt toujours pour un autre : Dieu auquel il rend témoignage et son...
 
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