Giuseppe CAPOGRASSI
La miséricorde
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n°243
Janvier - Février
2016 - Page n° 97
Il est une part de l’oeuvre plus secrète encore que la part philosophique et juridique de Giuseppe Capogrossi, l'un des philosophes italiens les plus importants de la première moitié du xxe siècle, c’est celle que constituent les quelque 2 000 lettres qu’il écrivit à Giulia Ravasi durant les longues fiançailles qui précédèrent leur mariage en 1924. 2 000 lettres : une lettre par jour, comme la respiration et le sourire de la pensée. Christophe Carraud, traducteur et éditeur de G. Capograssi, en présente ici un choix.
Bonum est praestolari cum silentio salutare Dei1, « il est bon d’attendre en silence le salut de Dieu ». C’est à propos de Rosmini que Giuseppe Capograssi (1889-1956) rappelle ce passage des Lamentations ; mais le verset s’appliquerait aussi bien à lui-même, comme s’appliquerait à la fortune de ses livres ce qu’il écrit de la Philosophie du droit de Rosmini : « … cette actualité (le fait de se trouver coïncider si essentiellement avec l’exigence de toute notre époque, de redonner une valeur personnelle à l’individu et de réintégrer dans l’individu toute l’expérience du monde du concret) explique la jeunesse obstinée du livre, étrange aussi pour cette vitalité de semence qui, même si elle se cache sous terre, ne réussit pas à perdre sa force vitale et semble attendre, selon la loi que son auteur avait fixée à sa vie, cum silentio l’époque qui sera la sienne2 ».
Capograssi n’a assurément rien fait, et on le comprend, pour sortir d’un tel silence. Salvatore Satta, grand juriste lui aussi, et grand romancier, le soulignait dans une lettre : « Si je pense que dans l’oeuvre entière de Capograssi […], il
n’y a jamais le pronom je, ni direct ni indirect3… ». Dans les sept et copieux volumes de son oeuvre4, pas une seule note où figure une référence à l’un de ses textes sur un sujet déjà traité. La plupart de ceux qui ont écouté son enseignement ont découvert son oeuvre après sa mort.
OEuvre essentielle pourtant, oeuvre problématique et considérable ; mais là encore : trop philosophique pour les juristes, auxquels l’apparentait la discipline académique qu’il professa (tardivement, après avoir exercé le métier d’avocat ou plutôt de conseiller juridique, pour simplement gagner sa vie : « Il n’avait pas de chaire, du reste, parce qu’il avait subi des dommages irréparables dans sa carrière à cause d’une véritable interdiction de la part du régime [fasciste], partagée de façon ambiguë par le monde académique ; il n’y fut finalement admis, au fond, qu’au titre d’une grâce qu’on lui faisait, à condition qu’il s’y fasse remarquer le moins possible », écrit Francesco Mercadante5) — et bien sûr trop [...]
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1 Lamentations 3, 26.
2 « Le droit après la catastrophe », dans L’Expérience juridique, Paris, Éditions de la revue Conférence, 2016, p. 194.
3 Salvatore Satta, Lettre inédite à Bernardo Albanese du 25 octobre 1969.
4 Giuseppe Capograssi, Opere, Milan, Giuffrè : vol. I à VI, 1959 ; VII, 1990. Six volumes de ses OEuvres ont paru en français, chez le même éditeur (Éditions de la revue Conférence) : Introduction à la vie éthique, 2012 ; Incertitudes sur l’individu, 2013 ; Réflexions sur l’autorité et sa crise, 2013 ; Analyse de l’expérience commune, 2013 ; Essai sur l’État, 2104 ; L’Expérience juridique, 2016. Un certain nombre de ses articles et de ses lettres ont été traduits dans la revue Conférence.
5 Francesco Mercadante, Préface à G. Capograssi, L’Expérience juridique, Paris, Éditions de la revue Conférence, 2016, p. 19.
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