Jeanne sur les autels – la Jeanne d’Arc d’Henri Wallon

La Jeanne d’Arc d’Henri Wallon (1812-1904), après avoir connu un vif succès, fut ensuite négligée, même par l’auteur de cet article, qui ne la mentionne pas dans son dictionnaire. Il lui rend ici justice : Henri Wallon - ministre de l’Instruction publique et des cultes -, historien engagé, se livre dans son ouvrage à la défense du procès de réhabilitation, pour hâter la  béatification.

Aujourd’hui négligée, si la Jeanne d’Arc d’Henri Wallon (1860) qui va être l’objet du présent exposé mérite d’être examinée de près, c’est d’abord parce qu’en son temps elle a rencontré un grand succès (une demi-douzaine d’éditions, jusqu’au début du XXe siècle, dont plusieurs plaisamment et savamment illustrées, et aussi des éditions abrégées). Le livre était offert comme prix dans les institutions catholiques. J’ai eu sous les yeux un exemplaire offert par G. Français, prêtre, directeur de Notre-Dame de Sainte-Croix, avenue du Roule à Neuilly (l’adresse n’a pas changé) comme prix d’honneur à l’élève Philippe Sudre, le 27 juillet 1887. Et on peut toujours se procurer à la demande pour 8 ou 9 euros un tirage du livre en passant par Abebooks... Il y a quelques années, j’ai publié avec deux jeunes collègues une assez copieuse Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire¹ : l’un de mes regrets est qu’il ne comporte pas une entrée « Wallon » alors qu’on y trouve une entrée « Michelet », une entrée « Quicherat », une entrée « Guido Goerres », une entrée « Anatole France », une entrée « Pierre Champion », une entrée « Paul Doncoeur », une entrée « Pierre Marot », une entrée « Régine Pernoud » ... À notre décharge, Wallon est quand même cité huit fois dans le corps de l’ouvrage, de même qu’il est cité huit fois dans le livre majeur de Gerd Krumeich, Jeanne d’Arc in der Geschichte. Historiographie, Politik, Kultur². J’ajoute que mon éminent confrère Jean Cluzel a abordé le sujet dans son livre de 2006, Jeanne d’Arc, la politique par d’autres moyens. Il y mentionne que Wallon fut interrogé comme « grand témoin » lors du procès de béatification et il cite son propos, d’après Philippe Boutry : « Présentement, je ne connais personne qui attaque Jeanne d’Arc, tout le monde la tire à soi, c’est ce qui fait souhaiter que l’Église la canonise bientôt et ne la laisse pas prendre par ceux à qui elle n’appartient pas³. » On songe ici à la fameuse parole de Léon XIII Iohanna nostra est⁴.

Lorsqu’en 1860 il publia chez Hachette la première édition de sa Jeanne d’Arc, Henri Wallon (1812-1904), alors âgé de 48 ans, était déjà un personnage considérable : École normale supérieure (1831), agrégation secondaire d’histoire, doctorat ès lettres (1837) (avec une thèse principale sur le droit d’asile⁵). Il fut chargé de conférences d’histoire ancienne à l’École normale supérieure après avoir été dans cette fonction le suppléant de Michelet (1837). Il passa le concours de l’agrégation de faculté en histoire (un titre qui a disparu depuis alors qu’il s’est par exemple maintenu dans les facultés de droit), [...]

Pour lire la suite de cet article, vous pouvez acheter ce numéro ou vous abonner pour recevoir tous les numéros!

1 Philippe Contamine, Olivier Bouzy, Xavier Hélary, Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire, Paris, 2012.

2 Sigmaringen, 1989. Le livre a bénéficié de deux traductions françaises, la plus récente préfacée par Pierre Nora (Gerd Krumeich, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris, 2017).

3 Jean Cluzel, Jeanne d’Arc. La politique par d’autres moyens, Paris, 2006. Voir p. 245.

4 Philippe Contamine, « Jeanne d’Arc dans la mémoire des droites », dans Histoire des droites en France, sous la direction de Jean-François Sirinelli, t. II, Cultures, Paris, 1992, p. 411.

5 Il voyait dans cette coutume une illustration du dialogue entre la grâce et le droit.