Le mystère d'une souffrance divine

La mythologie est déjà partagée entre une idéalisation du divin, distant et sublime, et l’affirmation d’une mélancolie ou d’une souffrance des dieux. La Révélation permet de penser aussi bien l’apathie que la sympathie divine. S’il faut maintenir une part d’immutabilité face aux excès de certaines pensées kénotiques, ou d’une trop grande humanisation du divin, il s’agit aussi d’approfondir une dialectique intra-divine de la souffrance de Dieu.

L’éloquent petit livre du Père François Varillon, La souffrance de Dieu, a fait justice, s’il en était besoin, du théorème de l’impassibilité divine. Il a pour exergue un mot d’Origène : Le Père lui-même n’est pas impassible. Pourtant l’impassibilité divine bénéficie d’une tradition théologique durable, héritage des Grecs maintenu par Grégoire le Thaumaturge. L’apatheia est liée aux attributs dits négatifs de l’immutabilité, de l’éternité, de la nécessité. Il semble qu’elle sauvegarde la transcendance.

Mais a-t-elle été bien comprise ? Et si l’on admet ses raisons, comment concilier l’impassibilité et la souffrance de Dieu ? Faut-il choisir entre le théologien qui enseigne de manière classique le De Deo uno et la mère de famille chrétienne qui apprend à son enfant à ne pas faire de peine au Bon Dieu ? Avec sa vigueur coutumière Claude Bruaire a stigmatisé ce qu’il appelle l’Absolu négatif avec toutes ses conséquences, à savoir la théologie négative. S’inspirant de Schelling il affirme le droit de Dieu à être ce qu’Il est, à se révéler comme Il est. Il décèle même dans l’Absolu superessentiel un germe ou une possibilité d’athéisme.

L’accusation d’anthropomorphisme à propos d’expressions courantes comme « Dieu aime, Dieu souffre, Dieu s’indigne » est nulle et non avenue. C’est bien plutôt de théomorphisme qu’il faudrait parler, si toute paternité terrestre dérive de la Paternité divine. D’ailleurs comment parler de Dieu autrement qu’à la manière humaine ? Ainsi fait la Bible, ainsi l’Évangile et, en définitive, la théologie. [...]

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