Réfuté, contesté, adulé, le canon a été pendant plusieurs siècles l’objet d’ardents conflits et de nombreuses méprises. Renouvelée depuis une cinquantaine d’années, l’approche canonique est aujourd’hui très importante aussi bien dans la lecture de la Bible que dans la théologie. Qu’est-ce que le canon et comment s’est-il constitué ? Quelle définition en a-t-on donné dans le passé et quelle définition en donne-t-on aujourd’hui ? En quoi la notion de canon est-elle aujourd’hui féconde ?
Éditorial : Régis Burnet : Le canon des Écritures – Vers la fin d’une fausse question ?
Depuis la fin du XIXe siècle, une vision très restrictive du canon a triomphé, qui en ferait une sorte de « brevet de vérité ». Une fois pourvus de ce sauf-conduit, les textes se transformeraient en réservoirs à « vérités de foi ». Cette compréhension a multiplié les malentendus qui ont allumé une sorte de « querelle canonique », dont nous entrevoyons peut-être la fin.
Thème: Le canon des Écritures
Thomas Söding : Le trésor dans des vases d’argile – Le canon comme acte de la foi
À partir de quelle expérience, dans quel contexte intellectuel et spirituel et selon quels critères s’est opéré le choix des textes canoniques vétéro- et néotestamentaires dans l’Église chrétienne à ses débuts ? Réponse précise et détaillée qui s’appuie sur les dernières recherches sur le sujet et en tire des conséquences sur la manière dont nous devons considérer ce que sont les Écritures.
Yves-Marie Blanchard : Irénée de Lyon, témoin et acteur d’un Canon en genèse
Irénée de Lyon est le premier auteur chrétien dont les oeuvres font explicitement référence à la quasi-totalité des écrits appelés à constituer le canon des Écritures. Ce n’est pas pour autant que le processus canonique soit alors achevé, tant au plan formel que du point de vue des clés d’interprétation. Irénée est ainsi un témoin privilégié, à la charnière des temps apostoliques, voués à la composition des textes du Nouveau Testament, et de l’époque patristique, engagée dans un long et complexe processus de réception menant à la pleine canonisation des Écritures bibliques, tant du Nouveau que de l’Ancien Testament.
Philippe Henne : Quelle Bible pour quels Pères ?
Les Pères ont-ils tous lu les mêmes Écritures ? N’y a-t-il pas eu des livres tantôt rejetés, tantôt reconnus comme inspirés ? La situation est bien évidemment complexe. Considérons trois attitudes radicalement différentes, adoptées par trois fortes personnalités : un chercheur, un hérétique, un saint pasteur.
Olivier Artus : La lecture canonique de l’Écriture – Une nouvelle orientation de l’exégèse biblique
L’exhortation post-synodale Verbum Domini invite les exégètes à mieux honorer la dimension proprement théologique de l’interprétation des traditions bibliques, en mettant en oeuvre une approche non seulement critique et historique du texte, mais aussi canonique, permettant d’en mettre au jour le sens « plénier ». Elle conduit l’exégèse biblique à s’interroger d’une manière renouvelée sur sa responsabilité théologique et ecclésiale, dans l’esprit de la constitution dogmatique Dei Verbum.
Signets
Pierre Lory : Temps et eschatologie en islam
L’eschatologie est un dogme fondamental de l’islam. Si l’on trouve beaucoup de points communs avec les récits apocalyptiques juifs et chrétiens, les différences sont plus grandes encore, concernant la venue du Mahdî, le rôle du Christ et la vision du Paradis notamment.
Vincenzo Rizzo : Le retour du Christ dans la philosophie religieuse russe
À la problématique moderne de « Dieu contre l’homme », la philosophie religieuse russe des XIXe et XXe s. répond par le mystère ineffable du Dieu fait homme : Dieu est partie prenante de l’histoire humaine. Celle-ci n’est pas fermée sur elle-même, elle est insérée dans une pré-histoire (la chute) et une post-histoire (la parousie) qui lui donnent sa profondeur et son enjeu. Les « catastrophes », loin de souligner l’absurdité du monde, sont « des brèches vers la parousie au sein de la réalité historique », c’est pourquoi le chrétien est appelé à vivre une « existence eschatologique », tendue vers le retour du Christ.
Crise financière et modèles mathématiques – Entretien de Christian Walter avec Pierre-Alain Cahné
Communément, les mathématiques appliquées à la finance sont pensées et vécues comme un simple outil qui décrirait le monde ; la qualité éthique dépendrait de l’usage qu’on en ferait. En réalité, loin d’être neutre, cet outil construit le monde qu’il décrit : il le fait advenir.
Guy Bedouelle : Les esquisses d’un artiste
Notes prises comme au fil de la plume au cours d’une lecture « désintéressée », continue et personnelle, des Carnets d’Albert Camus.
Le canon des Écritures – Vers la fin d’une fausse question ?
Régis Burnet
Le problème posé par le canon est ici à mon sens celui de la reconquête de la problématique de la reconnaissance sur celle de la domination [...]. Il ne s’agit pas d’obéissance mais de reconnaissance. Mais reconnaissance de quoi, en dernière instance ? Réponse : de supériorité. Mais qu’est-ce que la supériorité ? Avec l’idée de supériorité intervient la catégorie de grandeur qui fait l’unité de toutes les figures de l’autorité. Ce dont on traite ici, c’est de la grandeur de l’ordre textuel, des grands textes et des grands auteurs. [...] L’énigme résiduelle est bien celleci : quelle grandeur est celle du maître ? Qu’est-ce que reconnaître la supériorité du maître ? Paul Ricoeur, « Le canon biblique entre texte et communauté », dans J.-C. Eslin, La Bible 2000 ans de lectures, Paris, DDB, 2000, p. 113-114.
En 1945, on découvrit dans les sables du désert d’Égypte un texte copte (que l’on connaissait par des fragments grecs depuis 1897), dans lequel on reconnut de troublantes parentés avec certaines déclarations de Jésus conservées dans les évangiles canoniques : l’Évangile de Thomas. Quasi immédiatement des voix s’élevèrent pour qu’on inclue ce texte, que personne n’avait lu pendant quinze siècles et dont les tendances gnostiques sont évidentes, dans les textes canoniques1. Et régulièrement, des publications le nomment le « 5e évangile2 » ou le « quatrième évangile synoptique3 ». Toutes irréalistes qu’elles soient, ces revendications et ces dénominations révèlent une compréhension biaisée de la notion de « canon ». Elles le considèrent en effet comme un « label », un indice de la qualité des textes, une sorte d’AOC. De même qu’une administration contrôle des fromages ou des vins, l’Église serait en charge de donner un
« visa de canonicité » à ses textes, pour en garantir l’autorité. Une fois pourvus de ce sauf-conduit, les textes deviendraient propres à la consommation chrétienne et se transformeraient en réservoirs à « vérités de foi ». Cette compréhension, récente dans l’histoire ecclésiastique, a conduit à poser de fausses questions qui ont allumé une sorte de « querelle canonique », dont nous entrevoyons peut-être la fi n.
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1. D. W. KIM, « The Wind-Blowing Desert : Thomasine Scholarship », Journal of Coptic Studies 8, 2006, p. 87-101.
2. S. J. PATTERSON, J. ROBINSON, H.-G. BETHGE, The Fifth Gospel : The Gospel of Thomas Comes of Age, Harrisburg (PA), Trinity, 1998.
3. S. DAVIES, « The Fourth Synoptic Gospel », Biblical Archæologist 46, 1983, p. 6-9.12-14.
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