Anatomie d'un mot

Paul IMBS
Le plaisir - n°40 Mars - Avril 1982 - Page n° 40

Intégration

L'histoire et l'origine du mot « plaisir ». Ce que ses emplois révèlent de son sens.

 La première page, 40, est jointe.

UN grammairien lexicologue, simple observateur de l'usage, éprouve quelque gêne à écrire pour une communauté de théologiens et de philosophes, qui par vocation visent au-delà du langage. L'usage langagier est affaire de société ; il est la monnaie avec laquelle se pratique l'échange par quoi nous communiquons « tout ce que nous concevons et tous les divers mouvements de notre âme », comme dit la Grammaire de Port-Royal [[Grammaire de Port-Royal, I° partie, ch. 1.]]. Or cette monnaie, à force de servir, est le plus souvent usée, sans relief ; ou, pour prendre une autre image, l'usage langagier est le plus bas degré d'une échelle au sommet de laquelle il y a le génie des locuteurs qui créent, « inventent », comme dit encore Port-Royal, le langage' lequel chute le long de ses échelons jusqu'aux abords du langage des perroquets, pour encore une fois parler comme les auteurs de la Grammaire générale et raisonnée. Tel est effectivement l'état dans lequel le grammairien rencontre d'abord le langage, ce bien de tous, autant dire de quasiment personne ; le linguiste a pour métier de dire la banalité.

 

Mais à peine a-t-il pris conscience de cette situation, qu'il voit ou entend en sens contraire s'édifier les palais de l'expression singulière (idiolectique, comme dit le jargon) des « artistes » de toute nature : ein Baum steigt in meinem Ohr (« un arbre monte dans mon oreille », Les sonnets à Orphée) [[R.M. Rilke (N.d.l.R.).]]. Et c'est l'aventure inverse, loin du patrimoine de la tribu ; c'est la vue sur un édifice aux mille fenêtres encadrant chacune un visage différent et cultivant sa différence ; et parfois ces fenêtres sont cachées par les volets clos, derrière lesquels il n'y a même pas toujours une personne qui regarde, le passage par le langage n'étant plus qu'un artifice pour dire qu'il ne s'agit pas de communiquer, mais du simple recours à un support pour dire l'indicible : le langage s'est fait expression, pour parler plus banalement. L'observateur se tire de cette aporie en se souvenant que le langage est aussi – et peut-être d'abord voile avant d'être dévoilement, et que dans l'expression langagière la plus ordinaire, il y a la part du non-dit (de l'entre-les-mots

avant l'entre-les-lignes) qui avec le dit compose le sens. Plus malicieusement, lorsqu'on se trouve, comme au Trésor de la langue française, en face d'un fichier de mille textes distribués sur les deux derniers siècles, (p.40) on constate que la volonté d'occultation des « créateurs » n'est que très partiellement couronnée de succès, et qu'un malin génie sauvegarde toujours un minimum de rencontre avec la totalité des locuteurs, ou du moins entre des groupes que réunit la « panure » commune d'une époque, d'une « famille », d'un tour d'esprit. Le langage est alors saisi à un niveau dit « culturel» (au sens où culturel est l'adjectif correspondant à civilisation) et cette dimension mérite assurément d'être explorée, puisqu'il n'y a pas de langage sans un minimum de sortie vers des référends dont les caractères se fixent sur lui.


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