Les troubadours

Michel ZINK
Le plaisir - n°40 Mars - Avril 1982 - Page n° 66

Attestations

Le "joi" et l'"obscur objet du désir"

 Pour les troubadours, l'amour équivaut au désir ; et comme le désir meurt de se satisfaire, l'amour exige l'insatisfaction. Pareil désir du désir, à la fois frustration et jouissance, retrouve dans l'érotique la dialectique paradoxale des Béatitudes : seuls les pauvres peuvent être rassasiés.

 La première page, 66, est jointe.

UNE joie austère. Une joie douloureuse. L'éblouissement de la joie venant transfigurer la souffrance acceptée. Tout cela, qui s'appliquerait si aisément à une expérience mystique, peut définir la passion amoureuse telle que l'ont conçue les troubadours et même, de façon à peine excessive et à peine métaphorique, l'esprit de leur poésie et la forme d'adhésion qu'elle requiert.

 

Quoi d'étonnant, dès lors, à ce qu'on y ait si souvent et si obstinément cherché un sens caché, spirituel, que le mot désigne la spiritualité chrétienne ou une autre qui en serait un reflet inversé ? Tout, au demeurant, paraît y inviter. L'éclosion soudaine et énigmatique de ce printemps de la poésie et de l'amour, ou, autrement dit, le fait que les plus anciens poèmes d'amour de notre littérature atteignent d'un coup à une perfection tendue, à la fois limpide et obscure, à une ferme rigueur de l'inspiration et de la forme, sans qu'aient jamais été clairement mises au jour les sources souterraines de ce surgissement vauclusien. Le contraste entre la personnalité tapageuse et scandaleuse du premier troubadour, le comte de Poitiers Guillaume IX, duc d'Aquitaine, (1071-1126), auteur, d'ailleurs, de chansons tout à fait obscènes, et la passion délicate, respectueuse et brûlante, qui anime de façon inattendue quelques-uns de ses poèmes. Le mouvement de conversion, enfin, qui a marqué à la fois la vie de nombreux troubadours et l'évolution générale de cette poésie : d'une part, en effet, beaucoup, parmi les plus illustres, Bernard de Ventadour, Bertrand de Born, Folquet de Marseille, ont fini leurs jours sous l'habit religieux, et le dernier, abbé du Thoronet puis évêque de Toulouse, a composé alors des chansons à la Vierge sur le modèle des chansons d'amour profane qu'il avait reniées. D'autre part, l'inspiration des derniers troubadours est de plus en plus souvent religieuse, au point qu'au XIVe siècle les deux tiers des pièces composées pour les Jeux de Toulouse sont des chansons pieuses. Soit qu'une spiritualité longtemps cachée se soit lassée d'avancer masquée, soit que, longtemps dévoyée, elle ait retrouvé, au prix, il faut l'avouer, du bonheur poétique, le chemin de Dieu. (p.66)

 

Mais ce sont surtout les caractères propres de cette poésie qui suggèrent une interprétation de ce type : son exaltation, sa thématique de l'élévation et de l'adoration, l'exigence hautaine de son éthique, le caractère très généralisateur de son discours, qui exclut l'anecdotique et le circonstanciel, l'hermétisme enfin que cultivent les tenants du trobar clus(« création poétique fermée », c'est-à-dire obscure). Pour une sensibilité moderne, cette grandeur difficile s'accorde mal avec les puérilités et les préciosités du jeu de société que sont aussi la poésie et l'amour courtois. On cherche donc volontiers à privilégier la première et à voir dans les secondes un travestissement délibéré du sens.

 

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