Rires et larmes chez Beckett : sans âme

Aux personnages qui chez Beckett doutent de leur propre existence, les larmes disent ici la seule certitude d'exister — ces larmes qui pourraient se définir comme la fine pointe du corps, ce qui en exprime soudain l'unité et en
désigne la prise de conscience. 

Cloy : — Il pleure.
Hamm : — Donc il vit¹.

IL serait difficile, et peut-être simplement fortuit de trouver chez Beckett le vocabulaire de l'âme, de la psychologie ou de l'analyse des sentiments qui a fait si longtemps l'objet et le succès du roman et du théâtre. La question n'est pourtant pas de savoir si les personnages qu'il a créés ont encore une âme et, en cas contraire, de regretter cette perte. Ce que la littérature des siècles antérieurs, dans le roman comme au théâtre, a largement exploré, l'analyse rationnelle des sentiments ou la peinture des passions, a cédé la place à l'obscurité et au trouble d'un moi difficile à connaître, plus difficile encore à décrire, perdu dans les méandres du conscient et de l'inconscient. Aussi vaut-il mieux peut-être renoncer, puisque la conception de l'homme à laquelle un auteur comme Beckett se réfère implicitement n'est plus la conception classique, à découvrir ces personnages contemporains comme nous comprenons encore les personnages de Racine ou ceux d'un roman du XIXe siècle. Quels êtres découvrons-nous alors, êtres de fiction d'abord, mais aussi, peut-être images de nous-mêmes ? 

Hommes sans nom

L'Innommable, tel est le titre, le nom sans nom auquel arrive Beckett pour l'un de ses personnages, celui qui se donne pour [...]
 

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1. Fin de partie, éd. de Minuit, 1957, p. 84. — Tous les textes de Beckett cités ont paru aux éditions de Minuit, à l'exception de Murphy, coll. 10/ 18.