Peindre le Dieu caché – quelques remarques sur la théologie implicite de Nicolas Poussin

Poussin, peintre de paysages, alternant thèmes religieux et profanes, mêlant parfois dieux de l’Antiquité et sujets bibliques, est parfois présenté comme un peintre syncrétique ou panthéiste. La foi chrétienne de Poussin est pourtant prise au sérieux par l’exposition « Poussin et Dieu » qui se tient actuellement au Louvre. En écho à ce titre, l'auteur médite sur la discrétion avec laquelle Dieu le Père est figuré dans l’œuvre du peintre, et montre que Poussin se tient bien au cœur de la tension propre à l’art chrétien : éviter l’idolâtrie tout en représentant un Dieu incarné, qui révèle sa divinité en la cachant.

 

Le Printemps : le Père disparaît 1 

C’est le matin : la nature luxuriante est vert tendre, les rayons n’ont pas encore dissipé toutes les ombres. Il y a des arbres partout, dont on peut distinguer chaque feuille, imaginer sur elles le doux froissement de l’air qui plisse un peu l’eau de l’étang que l’on aperçoit derrière eux. Une montagne blanche à droite, dans le lointain. Et le soleil caché, à son lever, deviné seulement dans la lumière mordorée d’une embrasure de feuillages, à gauche.

Au premier plan, au centre, un homme et une femme nus nous tournent le dos – lui assis, peau terre de sienne, elle plus pâle, un genou en terre. Sur un nuage, là-haut, on aperçoit, filant de dos, un vieil homme barbu, drapé de blanc. Adam et Ève ne semblent pas voir s’éloigner Dieu le Père. Ève lève une main vers l’arbre et ses fruits, entraîne Adam par le bras, de l'autre main. On pourrait croire un instant qu’elle montre Dieu du doigt, indique les choses du ciel. Mais non, elle n’est tendue, réjouie, que vers l’arbre et ses fruits devant elle – la création plutôt que le Créateur. Le léger décalage de ce doigt, de leurs regards, si près et déjà à mille lieues de la présence de Dieu, disent discrètement la faute originelle – et sa conséquence, Dieu devient invisible pour leurs yeux – tandis que le tableau dans son ensemble montre la tâche du peintre : dire, malgré tout, le Dieu caché dans les mirages et les splendeurs de la création.

Voici donc Le Printemps de Nicolas Poussin, l’ouverture d’un cycle de quatre tableaux, Les Saisons, presque l’œuvre ultime du vieux peintre, dont la main tremble de plus en plus– œuvre aux multiples niveaux de lectures, où certains voient la confirmation d’un Poussin syncrétiste et panthéiste, convoquant des scènes bibliques sans respect de leur chronologie, préférant le cycle perpétuel des saisons au déroulement linéaire de l’histoire sainte.

On a parfois douté de la foi de Poussin : les sujets religieux voisinent en effet chez lui avec les sujets mythologiques, dans des mises en scènes parfois fort proches ; du reste, n’a-t-il pas renoncé assez tôt aux commandes religieuses, aux tableaux d’autel, n’y revenant qu’à l’occasion de son dernier séjour parisien, au début des années 1640, séjour accompli la mort dans l’âme, vite écourté ? [...]

 

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1 En écho au titre de l'exposition "Poussin et Dieu" (Musée du Louvre, du 2 avril au 29 juin 2015). 


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