L'esprit n'est pas l'ennemi de la chair

M. Claude BRUAIRE
Le plaisir - n°40 Mars - Avril 1982 - Page n° 2

éditorial

LE christianisme peut-il enseigner le mépris du corps en assimilant le plaisir au mal?
Il est sûr qu'il a présenté de lui-même la figure de l'ascétisme contempteur de la vie, méfiant au regard de toute performance de la nature, récusant le signe universel de la satisfaction des besoins: le plaisir
Sans accréditer les célèbres descriptions de Nietzsche, c'est en effet cette image que nous avons donnée à retenir, comme si l'imitation du Christ coïncidait avec la honte du corps en liesse.

L'article complet est joint

Sans doute importe-t-il d'expliciter les éléments irrécusables d'une philosophie du corps présents dans le message du christianisme. Sans doute était-il nécessaire — nous l'avons tenté dans un précédent numéro de Communio [(V, 6 — novembre 1980: le corps)->rub174] — de rappeler que la religion qui annonce la résurrection de la chair ne peut céder à la tentation cathare ni accueillir l'une ou l'autre forme du dualisme platonicien. Mais toute l'existence chrétienne, immanquablement jugée sur le cas qu'elle fait du plaisir, est assignée à l'appréciation positive ou négative d'une éthique hédoniste. Car elle ne peut se soustraire à sa consubstantielle exigence de sacrifice, qui semble ériger en principe l'exclusion du plaisir, dans le temps où son espérance entretient l'attente du corps exalté, glorifié.

C'est ici qu'il convient de dire avec force la signification élémentaire du sacrifice. Comment avons-nous pu contrefaire et abolir la vérité du sacrifice, sa loi constitutive, en l'identifiant au dégoût pour la sensibilité, à la haine du plaisir, en le rendant complice d'un masochisme inavoué? Le sacrifice n'est rien qu'acte morbide s'il n'honore pas le bien qu'il sacrifie. L'unique condition de réalité et de vérité du sacrifice du plaisir est la valeur qu'on lui attribue. On ne sacrifie que ce qu'on aime, ou le sacrifice est un mensonge.

Il convient maintenant de mesurer le prix du plaisir, la signification de sa donnée naturelle. Nous savons les points forts de l'hédonisme; par sa positivité qualitative, sa présence immédiate à la conscience sensible, sa plénitude instantanée, le plaisir l'emporte en dépit de sa précarité, de sa discontinuité, de son éphémère apparition. De plus et peut-être surtout, le plaisir atteste une surabondance de la puissance créatrice à l'œuvre continuée dans la nature puisque, selon la merveille d'analyse léguée par Aristote, il 'couronne la satisfaction du besoin ', avivant sa positivité de (p.2) son inutilité, accompagnant comme le cadeau aussi assuré qu'indû, la,réussite de la vie dans le vivant. Ajoutons que le plaisir, contrairement à l’opinion superficielle, n'a pas la douleur comme son contraire, que celle-ci est réactive sans être l'index du chemin où le corps se garde et .se conforte, et nous aurons délié la recherche saine et naturelle du plaisir de 1’envie d'anesthésie généralisée, de la fuite devant toute menace d'agression interne et externe. Faut-il conclure maintenant que la vie chrétienne doit être, identiquement, recherche et amour du plaisir?

 

 

POINT de réponse adéquate dans la seule analyse comparative de l'endroit et de l'envers de la médaille du plaisir. Toute éthique du plaisir, d'Epicure à Bentham, s'est construite, comme sagesse calculatrice, finement attentive à ce comparatisme. L’évite du plaisir artificiel, du plaisir qui exclut le plaisir, du plaisir artificie1 et trop fugitif pour permettre sa mémoire affective ou son anticipation raisonnable, toute cette déontologie du plaisir a été mise au point et enseignée : les règles d’une morale ne sont nulle part ailleurs plus systématiquement exposées. Ce n'est pas ce qui est ici en cause, moins encore en quête.

La seule chose qui interdise l'adhésion à l'hédonisme réside dans la relation qu'il brise entre la vie naturelle et l'existence spirituelle. C'est la seule chose, mais elle est de taille. Elle signifie que la demande illimitée qui nous constitue ne saurait être réduite à l'ordre des besoins de la vie, besoins que nous savons multiplier, que nos productions techniques savent inventer et satisfaire, alors même que le « bonheur » demeure privé de sens ,et d'attente. Le négatif du plaisir tient dans son insuffisance, dans ce qu’il exclut, quand ce qu'il donne demeure inattaquable par sa positivité incontestable. Ce qu'il exclut: tout l'ordre du don de l'être, de l'ouverture qu'il commande, de l'altérité qu'il demande. Seule la joie du don vaut sans doute de sacrifier le plaisir. Mais le Christ nous a appris une bonne fois que le corps aura sa revanche dans son exaltation, dès lors que l'esprit sera la vérité avérée de la nature.

 

 

 


Revue papier

Prix HT €* TVA % Prix TTC* Stock
11.75€ 2.10% 12.00€ 8

Revue numérique

Titre Prix HT € TVA % Prix TTC Action
Le plaisir - pdf Gratuit pour tout le monde Télécharger
Le plaisir - pdf Gratuit pour tout le monde Télécharger