n°300 A la discrétion du Père Juillet - Aout 2025*


Editorial de Florent Urfels: la discrétion d'une relation

 

Craig Keener: Y a-t-il un secret messianique dans l’Évangile de Marc ?

Il paraît aujourd’hui impossible de défendre la thèse du « secret messianique » qui a longtemps dominé l’exégèse. Le motif du secret joue pourtant un rôle stratégique dans le récit de Marc jusqu’à la confrontation finale avec les autorités juives. Il permet de saisir la logique progressive de la révélation et d’observer comment les disciples peuvent comprendre la mission et l’identité de Jésus.



Tibor Görföl : Initiation aux secrets du Père − Que peut-on dire de la conscience du Christ ?


En s’appuyant sur Hans Urs von Balthasar, l’auteur conteste la thèse traditionnelle de la visio beatifica du Christ au profit d’une connaissance du Père certes unique mais non dénuée d’obscurité. Il s’agit de comprendre comment, dans ce dépouillement volontaire, le Fils devient en son humanité un modèle pour notre propre foi, nous permettant de le suivre dans son obéissance parfaite.

 

Jean Reynard : Le secret de Dieu chez le Pseudo-Denys

Chez le Pseudo-Denys, la transcendance reste inaccessible sauf par une initiation progressive : celle-ci commence par la contemplation du Christ incarné, qui se manifeste tout en se voilant. Dans le secret de cette « ténèbre lumineuse » se joue la possibilité même de la rencontre personnelle avec Dieu.

 

Timothée Gestin : Jean Calvin fataliste ? Le secret de l’élection dans l’Institution de la religion chrétienne

On ne retient parfois de Calvin que l’idée de « double prédestination » ; mais le secret de cette élection divine s’articule au témoignage intérieur du Saint-Esprit, qui atteste la vérité des Écritures et la certitude du Salut dans le coeur des élus. Loin d’un fatalisme arbitraire, le thème du secret renvoie chez Calvin à l’intimité entre Dieu et l’homme.

 


Benoît Donnet : Le sceau de l’aveu − Du secret de confession

Thomas d’Aquin affirme que le secret de confession appartient à l’essence du sacrement : si l’histoire des pratiques de pénitence invite à relativiser la thèse thomasienne, celle-ci ne manque pas d’arguments d’un point de vue phénoménologique. Car la grâce du pardon suppose une relation dialogique : le secret rend possible la parole de celui qui s’expose et le silence de celui qui écoute

 

Denis Dupont-Fauville : I Confess − Un secret bien gardé

Le film I Confess d’Alfred Hitchcock (1953) construit son intrigue autour du secret de la confession et permet de réfléchir à la tension entre silence sacramentel et vérité publique. Le cinéaste explore par ce moyen la complicité humaine dans le péché mais aussi la force de l’aveu qui libère la vérité et permet à la grâce de rejoindre tous les protagonistes.

 

Signets :


Ulrich Greiner : Prier sans rien demander ? − Ce que l’on peut apprendre de l’écrivain norvégien Jon Fosse

Le Prix Nobel reçu en 2023 par Jon Fosse a contribué à mieux faire connaître l’originalité de ce dramaturge et romancier, passé du luthéranisme au catholicisme. Dans son roman Je est un autre, la chronologie s’efface au profit de la simultanéité : la prière s’y dévoile avec force, scandant le récit comme le rythme de la respiration.

 

Jean-Pierre Batut : Louange et purification − Joseph Ratzinger lecteur de saint Augustin

Joseph Ratzinger appelait Augustin son « grand maître ». En particulier, il a identifié ce qui, pour l’évêque d’Hippone, est spécifique au Dieu unique des chrétiens face à celui des philosophes polythéistes : son invocabilité, sa
rationalité et surtout son humilité. À la suite de Jésus et de ses disciples auxquels il a lavé les pieds, l’Église est appelée, dans son apostolat, à se « salir les pieds » à son tour, sachant qu’elle sera, comme les Apôtres, purifiée par son Seigneur

 

Éric de Moulins-Beaufort : Tout s’origine dans l’amour du Père

Homélie pour la messe à l’occasion du cinquantenaire de la revue Communio en la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 14 mai 2025.





 

Editorial de Florent Urfels: La discrétion d'une relation

 

Dieu n’a pas voulu écraser l’humanité par la splendeur de son être : il ne se communique pas à des esclaves apeurés mais à des enfants remplis de confiance, à qui il veut conférer la plénitude de son amour. Pourquoi dès lors ne leur dit-il pas tout ? Cette réserve divine traduitelle une forme de parcimonie dans le don ? Les puissants de ce monde tiennent parfois aux secrets qu’ils possèdent pour mieux dominer leurs subalternes. Mais c’est pour une autre raison que le Christ tient à présenter le Père comme Celui « qui est dans le secret » (tôi en tôi kruptôi, Matthieu, 6, 6) lorsqu’il oppose la prière chrétienne à la prière ostentatoire des Pharisiens. S’il faut prier le Père « dans le secret », c’est peut-être pour préserver la relation et le dialogue qu’implique la prière dans ce qu’ils ont de plus intime et de plus personnel. Le motif du secret caractérise ainsi à la fois le mouvement par lequel Dieu se dévoile et l’expérience subjective du chrétien. Dieu fait ainsi le choix du secret, ou plutôt de la discrétion. Discrétion au sens habituel d’une présence voilée, mais aussi au sens plus ancien du discernement : secretum et discerno ont d’ailleurs même étymologie. Puisqu’il ne s’impose pas par la force, à chacun de déchiffrer – discerner, donc – les signes de la présence de Dieu dans sa propre histoire. Il s’agit d’entrer dans une initiation progressive, là où le secret se fait lieu de la rencontre transformante du Créateur et de la créature. Craig Keener ouvre notre problématique en revenant sur la quaestio vexata du « secret messianique », en particulier dans l’Évangile de Marc 1. L’hypothèse de William Wrede s’est longtemps imposée comme un dogme exégétique : Jésus n’avait personnellement aucune prétention messianique mais l’Église primitive a au contraire jugé essentiel de le désigner par le titre de Christ. Le motif du secret exigé de Jésus lui-même est censé résoudre cette contradiction : Jésus partageait déjà la foi ecclésiale mais il n’en a jamais parlé parce qu’il voulait que la chose reste inconnue. Keener rejette cette hypothèse comme insuffisamment étayée par les textes et propose une interprétation plus nuancée. Il y a certes, de la part de Marc, une stratégie narrative soulignant l’incompréhension des disciples face à la mission et la personne de Jésus. Mais cette stratégie ne repose pas sur une totale invention car Jésus lui-même, dans ses paraboles, insiste totale invention car Jésus lui-même, dans ses paraboles, insiste sur la dimension mystérieuse du Royaume qui ne peut se dévoiler que progressivement. Le secret s’achève avec la Passion et la Résurrection (Marc 14,61-62 ; 15,39), révélant pleinement la messianité paradoxale de Jésus, loin des attentes triomphalistes de l’époque.

Outre l’intérêt historique de cette conclusion, Keener met bien en lumière le thème essentiel de la pédagogie divine – au sens le plus noble de ce mot, l’art de conduire l’enfant vers la vérité. Pourquoi choisir une révélation progressive à travers un Messie qui se cache avant de se dévoiler pleinement dans le paradoxe de la Croix ? Le scandale d’un Messie souffrant est tel que, posé brutalement devant nos yeux, il ne susciterait qu’incompréhension. L’obstacle, de notre côté, est sans nul doute produit par le péché qui divise nos cœurs et obscurcit notre intelligence. Mais puisque c’est de ce péché que Jésus nous sauve, il lui faut bien en tenir compte ! D’où cette patiente adaptation à notre infirmité spirituelle pour nous permettre, à notre rythme, d’abandonner le Messie dont nous avions envie pour accueillir le Messie dont nous avons besoin.

La perspective économique du secret messianique ne manque cependant pas de soulever une question christologique, celle de la conscience que le Christ avait de sa mission, de sa personne, de sa relation unique avec le Père. Suivant Hans Urs von Balthasar, Tibor Görföl soutient que Jésus, dans son humanité, ne bénéficiait pas d’une vision immédiate et complète du Père, la visio beatifica que lui reconnaissait une longue tradition depuis le Moyen-Âge 2. Au contraire, Jésus a été initié progressivement aux secrets divins, en pleine conformité avec son abaissement volontaire, solidaire de la commune humanité. Pour Görföl, la thèse traditionnelle de la visio beatifica compromettrait son rôle de modèle pour les croyants. Ainsi le secret du Père devient le fondement de l’obéissance de Jésus, dans une grande proximité avec notre propre expérience d’une foi souvent balbutiante et douloureuse.

Cette interprétation balthasarienne, soulignons-le, ne va cependant pas de soi. Outre qu’elle rompt avec une tradition quasi-continue jusqu’au XXe siècle – à l’instar cependant de la plupart des théologiens contemporains – elle n’est pas sans incidence sur la foi trinitaire ellemême. Car si la conscience humaine du Christ reflète ce qu’il est personnellement, à savoir l’hypostase du Verbe, insister outre mesure sur l’obscurité de sa connaissance du Père pourrait prêter le flanc à une réduction de type subordinatianiste. On sent que Balthasar est guidé par un principe sotériologique fort exact : le Christ doit vivre ce que vit n’importe quel chrétien pour qu’une spiritualité authentiquement chrétienne soit possible. Mais celui-ci doit être équilibré par un autre principe, auquel saint Thomas se réfère constamment : parce qu’il est notre sauveur, le Christ doit d’abord posséder ce que nous n’avons pas pour pouvoir nous le donner. Principe de type « laïc » d’un côté, « sacerdotal » de l’autre, qu’une bonne christologie doit pouvoir articuler sans les opposer, et la tâche n’est pas facile.

À ce sujet il n’est pas sans intérêt de mentionner la tentative de Nicholas J. Healy 3 qui cherche à combiner la thèse traditionnelle de la vision béatifique du Christ avec l’accent balthasarien de sa connaissance humaine de type filial. Selon saint Thomas, le Christ jouit dès sa conception de la vision béatifique de l’essence divine car il est lui-même cause instrumentale de la béatification des hommes. Cependant, Healy reformule cette idée en soutenant que la vision béatifique n’est pas une contemplation statique mais une participation vivante à l’échange d’amour entre le Père et le Fils. De la sorte, la visio est colorée personnellement dans son sujet (le Fils) comme dans son terme (le Père). En tant que telle, elle ne contredit pas mais requiert plutôt, comme une authentique traduction humaine de l’engendrement du Fils par le Père (et sans cesser d’être visio beatifica), les modalités kénotiques de la conscience du Christ, comme sa croissance en sagesse, son apparente ignorance et même son expérience d’abandon sur la Croix. Finalement, avec Healy, il s’agit moins de concevoir une notion abstraite de la vision béatifique pour se demander si elle convient ou non au Christ terrestre que de recevoir de la christologie elle-même la « bonne » définition de ce qu’est la visio beatifica.

La question de la vision de Dieu et plus largement de la connaissance, claire ou obscure, que l’homme peut en avoir lorsqu’il est encore en pèlerinage sur cette terre conduit à revisiter la théologie mystique et apophatique attribuée à Denys l’Aréopagite, en fait un moine syrien du VIe siècle. Dans son article, Jean Reynard montre toute l’importance que revêt pour lui le lexique du secret, en particulier via le terme grec kruphiotês qui exprime l’inaccessibilité de la nature divine 4. Reynard montre que ce secret n’est pas un contenu caché à dévoiler,

selon l’axe temporel de l’avant et de l’après, mais bien une expérience mystique d’union à Dieu, atteinte par une voie qui transcende tout concept humain. Dans les Hiérarchies célestes et la Théologie mystique, Denys décrit ainsi une révélation progressive, médiatisée par des symboles bibliques et des intermédiaires angéliques, qui respecte la capacité des créatures à accueillir le divin. Mais même au sommet de cette révélation – et surtout au sommet – demeure le secret d’une « ténèbre lumineuse » où l’âme, dépouillée de toute connaissance discursive, rencontre Dieu dans le silence.

Tout cela est bien connu, mais ce qui l’est moins est la reprise de la même dynamique apophatique lorsque Denys considère, dans sa Troisième lettre, l’incarnation du Fils. Celle-ci est certes une manifestation de Dieu – et en ce sens on pourrait dire qu’elle s’oppose au secret. Mais dans la mesure où le Christ possède la nature divine, luimême est un mystère indicible au cœur même de sa révélation (en têi ekphansei). De la sorte, suivre le Christ, connaître le Christ, aimer le Christ, n’est rien d’autre que s’engager dans un mouvement mystique culminant, ainsi que nous l’avons dit, dans la ténèbre lumineuse. Pour bien faire sentir ce point capital de la christologie de Denys, Reynard cite fort à propos une fine analyse de Jean-Louis Chrétien au sujet du « Dieu caché » de Denys et de Pascal. Pour ce dernier, l’humanité du Christ n’est pas la porte d’entrée dans la connaissance mystique mais au contraire un voilement supplémentaire que Dieu se donne et nous impose. Il y a ici une logique du retrait, typique de la spiritualité pascalienne où la foi doit surmonter l’obscurité imposée par ce voile pour reconnaître la présence divine. Chez Denys, le secret est actif et relationnel : il ne s’oppose pas à la révélation mais la structure comme un processus d’initiation mystique. Chez Pascal, le secret est passif et obstructif : l’Incarnation accentue le retrait de Dieu, le rendant plus distant sous le voile de l’humanité. Si Denys voit le secret comme un espace de communion, Pascal le perçoit comme une épreuve de l’absence apparente de Dieu, épreuve constituant la foi en faculté du paradoxe, un peu à la manière de Kierkegaard.

Le secret de Dieu circonscrit donc le climat dans lequel l’homme connaît mystiquement son Créateur. Mais plus fondamentalement encore ce secret le positionne dans le drame du Salut, selon la thèse paulinienne d’une volonté divine qui ne peut être tenue en échec : « Dieu fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut » (Romains 9,18). On sait, dans les grandes lignes, que les Réformateurs ont consolidé la doctrine de la prédestination pour mieux combattre une vision catholique du mérite qui, selon eux, faisait la part trop belle à la liberté humaine. Mais il importe de ne pas caricaturer la pensée ni des uns ni des autres. Ainsi Timothée Gestin explore comment cette prédestination, pour ne pas écraser l’homme par le poids d’un déterminisme ressenti comme tel par la conscience, est présentée par Calvin comme un « conseil secret » 5. Dieu sait – et non seulement sait-il mais encore détermine-t-il – ce qu’il en sera eschatologiquement de moi, alors que je reste ignorant à ce sujet. Mais cette ignorance n’est-elle pas finalement aussi lourde à porter qu’un savoir transparent ? N’y a-t-il pas ici le risque de verser dans un fatalisme démobilisant ? Rien de ce que je puis faire ne changera le décret divin sur ma destinée, donc autant ne rien faire et, à la limite, autant ne pas croire...

À rebours de cette simplification abusive, Timothée Gestin montre que Calvin équilibre le secret de la prédestination par un second secret : le témoignage intérieur de l’Esprit Saint, qui atteste dans le cœur des croyants la vérité des Écritures et donc, indirectement, leur propre élection. C’est exactement pour cela que l’autorité des Écritures ne saurait reposer sur des arguments humains ; elle est perçue par l’action secrète de l’Esprit qui confère au croyant une certitude absolue quant à son salut. Celui qui ne croit pas, en revanche, ne possède pas cette certitude mais on peut supposer qu’il n’en souffre guère puisque, par hypothèse, les Écritures n’ont aucune autorité divine à ses yeux. Aussi l’élection divine a-t-elle un retentissement dans la conscience humaine qui, loin de dévaluer la foi, la situe à l’intérieur d’une communion personnelle avec Dieu. L’Esprit agit secrètement pour transformer l’incertitude humaine en confiance envers Dieu et sa Parole de grâce. Et de la sorte ce double secret – celui de l’élection et celui du témoignage intérieur – qualifie la relation de l’homme à Dieu, d’une manière différente de ce que faisait Denys mais tout aussi puissamment.

Le secret de Dieu, pour les fidèles catholiques, c’est aussi très concrètement celui auquel renvoie la confession des péchés. Partant de la thèse thomiste d’un secret qui appartient à l’essence même du sacrement, Benoît Donnet retrace l’évolution de cette disposition canonique qui n’a de fait pas toujours été tenue (la première forme de la pénitence sacramentelle, dite « pénitence publique », ne concernait en effet que les fautes les plus graves et manifestes comme l’adultère, le meurtre ou l’apostasie 6. Mais si elle a fini par s’imposer, à travers les méandres d’une histoire tourmentée, c’est qu’elle est commandée par la nature même de la démarche pénitentielle. Celle-ci ne consiste point à transmettre des informations à un agent ecclésial autorisé (le prêtre), mais plutôt à s’exposer sans réserve à la grâce divine, de telle sorte que le secret auquel est tenu le prêtre soit comme une traduction terrestre de ce que deviendra la faute face au pardon de Dieu : effacée dans sa dimension de culpa, elle n’existe plus en tant qu’aversio a Deo.

Au fond, Benoît Donnet soulève dans son étude quasiment phénoménologique de la confession la problématique essentielle du sacrement en tant que signe – donc réalité manifestante – de la grâce divine. Certes la doctrine catholique réserve à la parole d’absolution le rôle de forme et à la confession des péchés celui de (quasi)-matière ; pour autant il serait erroné d’en déduire qu’une fois ces éléments assurés l’on puisse faire un peu n’importe quoi dans le domaine de la célébration. Risquons une comparaison : même si les paroles de consécration ont attiré à elles, dans la théologie latine de l’Eucharistie, tout le poids de l’efficience sacramentelle, il ne viendrait à personne l’idée de réduire la prière eucharistique au seul récit de l’Institution. C’est bien dans l’espace d’une prière ecclésiale que les paroles de consécration trouvent tout leur sens, et c’est bien dans le silence absolu du confesseur que l’aveu du pénitent se phénoménalise en parole adressée à Dieu – c’est-à-dire aussi, à sa façon, comme une humble prière.

C’est encore au secret de confession que s’intéresse Denis DupontFauville mais selon la perspective originale d’une lecture théologique du film I Confess (1953) d’Alfred Hitchcock 7. Comme le titre le signifie bien, le secret de la confession y joue un rôle central. L’intrigue suit le père Michael Logan, tenu par le sceau sacramentel de ne pas révéler un meurtre confessé par Otto Keller, ce qui le conduit à être soupçonné à tort de ce meurtre. Dupont-Fauville analyse finement la mise en scène symbolique de Hitchcock, où le secret devient à la fois un fardeau et une grâce. Mais en définitive, grâce à l’aveu public de deux femmes (Alma, la propre épouse d’Otto, et Ruth, un amour de jeunesse du P. Logan avant son entrée dans les Ordres), le cycle de la culpabilité est brisé, Logan est reconnu innocent et Keller lui-même meurt en recevant le pardon du P. Logan.

Malgré les invraisemblances inévitables de l’histoire, Hitchcock suggère donc une thèse forte. Le pardon sacramentel est porteur de vie en tant qu’il transmet un acte divin, mais dans le monde des hommes les liens au mal ne sont pas d’emblée neutralisés par la confession. Il faudra en outre que des libertés s’expriment publiquement et non secrètement – celles de Ruth et d’Alma – pour que l’innocence soit établie contre les apparences – celle du P. Logan – ou eschatologiquement donnée, comme à Otto qui meurt presque comme le bon larron. La confession ne dispense pas de l’engagement des libertés, elle le rend possible d’une autre manière. Il y aura toujours une tension entre le secret de confession et le sens humain de la justice, mais cette tension fait elle-même partie de la manière dont Dieu conduit les libertés pour que sa justice à lui se réalise dans notre monde imparfait.

On aurait pu croire que la thématique du présent Cahier, celle du secret divin, de la discrétion du Père, n’était qu’un aspect marginal de la foi chrétienne. Mais les différentes contributions ici présentées finissent par emporter la conviction opposée. Le secret s’avère constitutif non seulement de la Révélation de Dieu aux hommes en son Fils Jésus-Christ, mais encore de la réponse de foi que nous pouvons lui donner. Dieu non seulement nous préserve pour notre bien de toute omniscience mais il noue aussi avec l’homme une relation personnelle d’autant plus intime et plus profonde que le secret qui l’enveloppe nous rattache plus étroitement à « Celui qui est dans le secret ».


 1 Voir ci-dessous Craig KEENER, «Y at-il un secret messianique chez Marc ? »,p. 17.

 2 Voir ci-dessous Tibor GÖRFÖL, « Initiation aux secrets du Père − Que peut-on dire de la conscience du Christ ? »,p.31

 3 Voir Nicholas J. HEALY, « Simul viator et comprehensor : The Filial Mode of Christ’s Knowledge», Nova et Vetera 11 (2013), p. 341-355, mentionné dans l’article de Görföl.

 4 Voir ci-dessous Jean REYNARD, «Le secret de Dieu chez le Pseudo-Denys », p. 45

 5 Voir ci-dessous Timothée GESTIN, « Jean Calvin fataliste ? Le secret de l’élection dans l’Institution de la religion chrétienne », p. 57

 6 Voir ci-dessous Benoît DONNET, «Le sceau de l’aveu − Du secret de confession », p. 69.

 7 Voir ci-dessous Denis DUPONT-FAUVILLE, « I confess − un secret bien gardé », p. 83.
 

 

 


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