Au voleur, ma mort !

Les modes actuels de sépulture, la mort à l'hôpital, la trop grande discrétion de l'Église, tout concourt à cacher la mort et à en effacer le sens chrétien. Cette négation laisse les individus seuls devant une béance pour mieux épargner la société.

Rien n'est désormais moins à nous que notre mort. Se faire voler une dépossession qui semblait inexorablement la nôtre a tout du paradoxe. Mais force est de constater qu'effacer le sens chrétien de la mort pour en faire un acte administratif, conduit tout droit à nous laisser seul devant elle pour mieux l'épargner à la société.

Cette insidieuse dérive commence par l'homogénéisation du mode de sépulture. C'est un spectacle instructif, et somme toute amusant, que celui du marbrier vantant ses productions aux clients : « Voyez comme le marbre est beau... et ces couleurs riantes..., quand il y a du soleil, ce modèle-là est beaucoup plus gai. » Après le pavillon orné sur sa pelouse d'un nain en faïence, après la voiture cérémonieusement rincée le dimanche matin, après un dernier dentier rutilant, il reste l'ultime fierté : un beau tombeau. Les dispositions sont parfois si bien prises qu'il ne reste plus qu'à compléter la date (1925-19..). Je ne puis entrer dans un cimetière sans souhaiter aux futurs défunts trop prévoyants de vivre jusqu'en 2000. Chacun sait à quel point les maisons de retraite sont terre bénite pour les spéculateurs funéraires qu'engraissent de telles préoccupations. Pour quel résultat ! une production indéfinie de monuments gris, uniformes, laids, plats et dépourvus de sens, des cimetières désespérants comme des lotissements de banlieue, avec des places recherchées le long des grandes allées, « pour voir passer les gens » (sic). Ainsi escamotée, la mort n'est pas une rupture pour la société qui affecte de l'ignorer. [...]

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