Les croix de bois. Sépultures de la grande guerre

La brutalité inouïe du premier conflit mondial fait du front entier un cimetière. La sépulture est au coeur de la culture de guerre : enterrer des morts, c'est occuper le terrain et continuer la lutte pour la civilisation. La paix revenue, les vainqueurs ont droit aux stèles claires, les vaincus aux noires.Si chaque nation a son type de cimetière, la France se distingue par le souci de nombreuses familles de récupérer leurs morts.

L 'historiographie actuelle de la Première Guerre mondiale nous prouve de plus en plus combien la Grande Guerre fut avant tout une guerre de consentement culturel : Français, Britanniques, Allemands, pour citer les principaux belligérants, trouvèrent dans les profondeurs de leur culture nationale, profane et religieuse, l'essentiel de leur volonté de haïr donc de combattre l'autre. Il est une conséquence de ce consensus global qui reste insupportable, insurmontable : la mort de millions d'êtres, jeunes pour la plupart. En ce début du xxe siècle, la mort avait suffisamment reculé pour que la succession des générations fût respectée : les grands-parents puis les parents mouraient avant les petits enfants. La guerre, en quelques mois, renverse cet état des choses, crée un trou immense dans les pyramides des âges masculines entre vingt et trente-cinq ans. Paradoxalement, ce vide, bien étudié par les démographes, qui peut être décompté assez exactement, reste encore mal appréhendé par les historiens. Pourtant, il paraît crucial que les représenta-tions de la mort entre 1914 et les années vingt, les pratiques funéraires, l'accompagnement de la mort, le travail de deuil, soient au coeur d'une réflexion sur le legs tragique de la guerre aux sociétés belligérantes. [...]