Notre ami le P. Bouyer, sollicité de préciser ce qu'est le « travail d'un théologien », a répondu aux questions de G. Daix *. A l'occasion de cet entretien, il précise et éclaire l'intention qui l'a conduit, depuis 1957, à entreprendre l'édification d'une double trilogie théologique, dont trois volumes sont déjà parus. Il ne nous a pas semblé inutile ni déplacé de livrer ici quelques-unes de ses réflexions ; elles permettent de mieux comprendre un effort aussi continu qu'ample et diversifié.
La première page, 89, est jointe.
Georges Daix.
— Je voudrais maintenant aborder avec vous cette grande oeuvre théologique que vous avez entreprise et dont Jusqu'à présent vous avez publié quatre volumes sur les six prévus. En 1957, donc, vous publiez Le Trône de la Sagesse et vous dites dans la préface que ce livre est l'esquisse d'une anthropologie surnaturelle, une réflexion sur l'homme et sa destinée selon le dessein de Dieu, laquelle devrait être suivie d'une sociologie surnaturelle, que vous avez publiée en 1970 sous le titre L’Eglise de Dieu, corps du Christ et temple de l’Esprit. Un troisième volume, disiez-vous, devait suivre, qui serait comme une cosmologie surnaturelle, c'est-à-dire un essai d'interprétation chrétienne de la vision scientifique moderne du monde, une théologie de la création si l'on veut, qui engloberait le monde matériel et le monde spirituel et nous conduirait de l'univers physique au monde angélique. Cette vieille expression des Pères de l'Eglise qui entendent désigner par là l'exposé du dessein de Dieu sur son oeuvre, n'était encore pour vous qu'une sorte d'introduction à une seconde trilogie, «théologique» au sens strict celle-là, et consacrée à Dieu tel que la foi nous le fait connaître, et qui comprendrait un volume pour chacune des trois personnes de la Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. De cette seconde trilogie, vous avez fait paraître en 1974 Le Fils éternel et, en 1976, Le Père invisible. Comment vous est venue l'idée de cette synthèse théologique à laquelle vous travaillez depuis plus de vingt ans ?
Louis Bouyer.
- Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai été fortement influencé au départ même de ma vie sacerdotale et de ma recherche théologique par deux personnalités différentes, le père Serge Boulgakoff et Dom Lambert Beauduin. Tous deux m’ont orienté de façon complémentaire vers cette oeuvre par rapport à laquelle tout ce que j’ai écrit auparavant ne me semble constituer qu’approches et préparations.
Le grand théologien orthodoxe russe qui a achevé son oeuvre à Paris entre les deux guerres a lui-même construit sa théologie, qui est aussi une philosophie, comme une double trilogie. La première de ces deux trilogies était consacrée à...
* A paraître prochainement aux éditions France-Empire.
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