L’été 2025 marquera les 1700 ans d’un synode d’évêques convoqué par l’empereur Constantin en 325, dont certaines formules continuent d’être récitées dans le « symbole de Nicée-Constantinople ». L’histoire des dogmes a souvent retenu de ce concile la lutte contre l’arianisme et l’introduction de termes non bibliques dans la profession de foi, comme celui d’homoousios, qui n’étaient pourtant pas le premier motif de cette réunion. Pour célébrer aujourd’hui le concile de Nicée, il faut aussi redécouvrir la véritable histoire de sa convocation et de sa réception : les questions auxquelles il se confronte − comme l'unité de date de la célébration pascale ou la réduction des schismes − demeurent plus que jamais d’actualité, tout comme la manière dont se développe dans le temps de l’Église la réflexion doctrinale et la pratique synodale. L’été 2025 marquera les 1700 ans d’un synode d’évêques convoqué par l’empereur Constantin en 325, dont certaines formules continuent d’être récitées dans le « symbole de Nicée-Constantinople ». L’histoire des dogmes a souvent retenu de ce concile la lutte contre l’arianisme et l’introduction de termes non bibliques dans la profession de foi, comme celui d’homoousios, qui n’étaient pourtant pas le premier motif de cette réunion. Pour célébrer aujourd’hui le concile de Nicée, il faut aussi redécouvrir la véritable histoire de sa convocation et de sa réception : les questions auxquelles il se confronte − comme l'unité de date de la célébration pascale ou la réduction des schismes − demeurent plus que jamais d’actualité, tout comme la manière dont se développe dans le temps de l’Église la réflexion doctrinale et la pratique synodale.
Editorial Matthieu Cassin : Nicée − Mémoire d’un synode
Nicée : mémoire d’un synode
En juin 2025, il y aura 1700 ans que se sera tenu ce que les Églises considèrent aujourd’hui comme le premier concile œcuménique, dans la ville de Nicée (actuelle Iznik, en Turquie). Cet événement réunit un grand nombre d’évêques venus de nombreuses régions de l’empire romain, surtout de sa partie orientale, mais aussi quelques Occidentaux, à la convocation de l’empereur régnant, Constantin. À l’occasion de cet anniversaire, nombreuses seront les commémorations, qu’il s’agisse de colloques, de numéros de revues et de volumes collectifs, mais aussi de célébrations religieuses et en particulier œcuméniques. En effet, ce premier concile est reconnu par toutes les Églises et peut servir de pont entre les différentes confessions chrétiennes, en particulier entre catholiques et orthodoxes 1. Mais que cet anniversaire fournisse l’opportunité de rappeler un événement du passé, fût-il ecclésial, ne suffit pas à justifier que Communio lui dédie un cahier complet. En quoi ce concile, tenu en 325 en Asie mineure, concernet-il les lecteurs français de Communio en ce début de XXIe siècle ? Si les articles de ce numéro n’affrontent pas directement et explicitement cette question, c’est pourtant elle qui les sous-tend et les relie. L’imaginaire collectif et ecclésial a conservé du concile deux points principaux : la définition d’un symbole de foi commun à l’ensemble de l’Église, qui forme encore la trame du Symbole dit de NicéeConstantinople, toujours récité aujourd’hui, et la condamnation d’une hérésie à propos du Fils et de la Trinité, rattachée au nom d’Arius, prêtre alexandrin. À ne retenir que ces deux éléments, et à la lumière de ce premier des conciles qui pourrait être perçu comme le modèle de tous les suivants, une réunion conciliaire aurait donc pour objectifs principaux de définir la foi et de condamner les déviations par rapport à elle, c’est-à-dire les hérésies. Cependant, à y regarder de plus près, comme le permettent plusieurs articles de ce numéro qui se penchent sur le contexte historique du concile, sur son déroulement et sur les textes qu’il a produits, et en particulier celui d’H. Pietras 2, ce n’est pas là le tout du travail conciliaire, ni peut-être, sur le moment, l’essentiel. En effet, les dissensions doctrinales, ou plutôt leur contenu, ne sont pas la motivation première de l’empereur pour convoquer ce concile.
C’est bien plutôt l’unité de l’Église qui est au centre de ses préoccupations, manifestée par l’unité du calendrier liturgique – et en particulier de la célébration de Pâques – et par le souci de réduire les schismes et les déchirures diverses du corps ecclésial. Il cherchait aussi à favoriser l’élaboration de solutions consensuelles pour résoudre les questions de discipline au sein de l’Église, à travers les canons qui y furent élaborés – de courts paragraphes réglant concrètement les décisions à prendre et la manière de traiter des cas récurrents à travers les différentes régions. L’élaboration d’une formule de foi commune fut également l’un des aboutissements de ce travail d’unification et de conciliation, afin de parvenir à une concorde sous le patronage impérial. Constantin cherchait ainsi à remplir son rôle de pontifex maximus, superviseur de l’ensemble des collèges presbytéraux des différentes religions de l’empire. Autrement dit, ce premier concile avait pour but premier de favoriser la concorde et l’unité au sein de l’Église, non en imposant une décision préétablie ou prédéterminée, mais en la faisant émerger par l’assemblée et la discussion des évêques.
Le concile de Nicée, nous l’avons rappelé, est considéré comme le premier concile œcuménique. Il n’est cependant pas la première réunion d’évêques au sein du christianisme ancien – dont le modèle reste la réunion apostolique à Jérusalem (Actes 15) – ni nécessairement la plus ample ou la plus universelle. Il fut d’ailleurs suivi, tout au long du IVe siècle, par de nombreux autres synodes, dont beaucoup furent convoqués par l’autorité impériale, qui comprenaient pour nombre d’entre eux des évêques venus de toutes les parties de l’empire, et qui émirent presque tous une profession de foi. Il est vrai cependant que ce fut la première réunion synodale d’ampleur après la reconnaissance du christianisme comme religion pleinement licite dans l’empire par Constantin en 313. Ce n’est donc qu’a posteriori que le concile de Nicée a acquis une place prééminente et une position de clef de voûte, ou du moins de commencement, dans la série des conciles. De même, son symbole de foi ne fut pas de suite considéré comme une référence universelle et nécessaire ; comme on le verra dans l’article de W. Kinzig 3, ce n’est qu’au bout d’un long parcours qu’il s’imposa. Et c’est d’ailleurs sous une forme largement révisée qu’il est récité aujourd’hui, et ce au moins depuis le concile de Chalcédoine (451). Autrement dit, la réception de ce premier concile met bien en évidence le rôle de l’histoire et de l’évolution historique dans la construction de la tradition ecclésiale. Celle-ci prend bien souvent la forme d’un regard rétrospectif, sur un passé qu’elle relit, sélectionne et organise à la lumière de son temps et des acquis de sa croissance, sous la motion de l’Esprit.
En outre, cet anniversaire rappelle l’importance de la délibération commune des responsables ecclésiaux pour décider ensemble non seulement de la foi de l’Église mais aussi de son fonctionnement. On retrouve là les deux aspects principaux des réunions conciliaires, et plus largement synodales, et l’on voit à l’œuvre cette synodalité remise en avant ces dernières années par le Pape François, mais également manifestée de manière paradigmatique lors du concile Vatican II, y compris dans son déroulé. En effet, s’il y a bien convocation impériale du concile – ce qui n’est plus d’actualité – et si certains thèmes sont également mis à l’ordre du jour du concile par celui qui le convoque (date de Pâques, réduction des schismes), d’autres émergent des préoccupations des évêques présents et de la convergence de leurs besoins. On rappellera en passant que les termes français « synode » et « concile » désignent au départ une même réalité, à savoir la réunion de diverses personnes, le premier venant du grec (synodos), le second du latin (concilium); le terme a acquis dans le vocabulaire de l’Église un sens particulier pour désigner le rassemblement d’évêques, et on tend à spécialiser encore « concile » pour désigner une réunion de plus grande importance, entre autres du fait d’une convocation papale. Les deux termes, cependant, désignent essentiellement une même réalité 4.
Si l’on tourne maintenant le regard vers la formule de foi promulguée par le concile, le tableau est également riche. Il ne s’agit certes pas du premier credo utilisé dans les Églises, mais il s’agit bien du premier credo qui ait acquis une portée universelle dans l’Église, il est vrai après un délai de plusieurs décennies. Auparavant, les différentes Églises, les différents diocèses et provinces, avaient leur propre symbole de foi, lié généralement à la liturgie baptismale. Le symbole de Nicée fut élaboré pour partie à partir de ces éléments préexistants. Il fut aussi, cependant, l’occasion d’une étape supplémentaire liée aux modalités de formulation de la foi. En effet, comme plusieurs articles du numéro le soulignent, interviennent dans lecredo défini au concile un certain nombre de termes et de concepts qui sont extérieurs aux usages bibliques (substance, consubstantiel [homoousios], en particulier). Ces éléments ne sont pas des adjonctions extérieures qui viendraient parasiter et dévoyer un christianisme qui aurait été, aux origines, purement biblique et séparé du grec et de ses concepts philosophiques. Ils reflètent bien plutôt la progression de la compréhension des doctrines au sein de la communauté ecclésiale qui cherche des outils adaptés pour les formuler. Ils témoignent également du travail d’intelligence de la foi qui se fait en articulation avec son contexte immédiat et se construit en dialogue constant avec les autres champs du savoir. Plus encore, c’est la connaissance intime de ces autres champs du savoir qui permet aux évêques réunis, et plus largement à tous ceux qui travaillent dans le champ théologique, de formuler et de formaliser la doctrine chrétienne. Trois articles de ce numéro envisagent différentes facettes de cette question : G. Maspero 5 la prend à son origine, en envisageant l’élaboration même de la formule de foi conciliaire et en revenant, entre autres, sur le terme doctrinal clef qu’est l’homoousios; V. Holzer, partant de la situation théologique actuelle et des questions qui y sont soulevées, remet en perspective la réception théologique du concile dans un temps long 6. Enfin, l’article de Ch. Stoll 7 propose un pas de côté en étudiant les débats qui opposèrent deux célèbres savants allemands dans la première moitié du XXe siècle, Adolf von Harnack et Erik Peterson : il s’agissait de comprendre comment recevoir les débats de l’Église ancienne sur le Fils et la Trinité, c’est-à-dire sur la seule question doctrinale qui ait été soulevée à Nicée. Les discussions entre Harnack et Peterson concernent justement cette question et surtout la manière de l’aborder, ainsi que sa place dans l’architecture de la foi et des communautés ecclésiales.
Le travail doctrinal mené lors du concile de Nicée, et plus largement les controverses autour de la compréhension de la Trinité qui ont parcouru le IVe siècle, témoignent également d’une dimension qui est maintenant bien connue et admise pour l’histoire des doctrines, mais qui l’est peut-être moins pour l’histoire des conciles. En effet, de même que l’historiographie, à la suite de l’hérésiologie, a longtemps posé l’existence originelle d’une doctrine droite, dont les « hérésies » seraient des déviations secondaires pour les premiers siècles de l’Église 8, on a longtemps lu l’histoire doctrinale du IVe siècle comme une lutte, au sein de l’Église, pour faire admettre une foi définie d’emblée comme juste, au concile de Nicée, contre de multiples tentatives de la dévoyer et de la falsifier. Mais c’est là un regard rétrospectif sur une réalité bien plus complexe : comme le montrent bien la multiplicité des synodes et des professions de foi qui rythment tout le IVe siècle, ainsi que les références très ténues au concile de Nicée pendant plusieurs décennies, y compris chez des évêques qui en firent ensuite la pierre de touche de la vraie foi, comme Athanase – on verra entre autres, sur ce point, l’article de D. Gwynn 9 – il y a bien plutôt une pluralité originelle qui se décante peu à peu pour laisser émerger, grâce au travail d’évêques et de clercs principalement, une position ecclésiale qui est reconnue comme orthodoxe. C’est en ce sens qu’on peut parler du concile de Constantinople I, tenu en 381, comme de la clôture des controverses doctrinales du IVe siècle : non parce qu’il mettrait un point final aux tentatives hérétiques de s’écarter du dogme originellement défini à Nicée, mais parce qu’il marque le moment où l’accord général se fait sur une position doctrinale en matière trinitaire au terme d’un long processus de discussion. C’est bien la position doctrinale de Nicée qui est utilisée pour formaliser cet accord, mais les discussions vont au-delà de ses conclusions, par exemple à propos de la divinité de l’Esprit. Si le symbole dit de Nicée-Constantinople n’a sans doute pas été adopté lors du concile, comme le rappelle W. Kinzig dans ce numéro, il témoigne de ce processus d’élaboration continuée de la formulation doctrinale. Autrement dit, les synodes et symboles de foi du IVe siècles témoignent d’un processus d’élaboration progressive de la doctrine sur la Trinité, au terme duquel l’Église parvient à une position commune et assurée. Certains éléments du symbole de foi nicéen sont d’ailleurs profondément modifiés au terme du parcours, par exemple l’équivalence qui était alors posée entre substance et hypostase dans les anathématismes, et qui est ensuite remplacée par une distinction nette entre l’unique substance divine et la distinction des trois hypostases. Nicée est donc l’une des étapes de ce processus et non son origine parfaite. De nouveau, un tel processus peut éclairer le regard porté aujourd’hui sur les discussions ecclésiales et la manière de les mener, ainsi que sur les condamnations portées sur les adversaires.
Faut-il d’ailleurs rappeler que le concile de Nicée n’a pas condamné des personnes, mais seulement des positions doctrinales, dans les anathématismes ? C’est un synode réuni auparavant à Alexandrie qui avait condamné Arius et ses doctrines, non le concile qui n’avait pas besoin de renouveler une condamnation déjà portée ailleurs. En ce sens, la figure et le rôle traditionnellement attribués à Athanase, champion d’une orthodoxie préexistante et attaquée par un parti malveillant et acharné, résultent pour l’essentiel d’une lecture non critique des œuvres de l’évêque d’Alexandrie, de ses plaidoyers pro domo sua. Les différents articles de ce numéro, en particulier les plus historiques, invitent à reconsidérer cette reconstruction et à mieux comprendre, en son contexte d’origine, l’évolution des débats sur la Trinité et la manière dont s’est dégagée, peu à peu, une manière aussi adaptée que possible de dire le mystère trinitaire. Non, donc, une théologie parfaite sortie toute armée de la tête d’Athanase, mais un mouvement d’ébullition intellectuelle et théologique aux multiples têtes, au sein duquel se dégage progressivement ce qui formera par la suite la doctrine proposée par l’Église.
Si l’on revient vers d’autres éléments laissés en héritage par le concile de Nicée, la préoccupation pour l’unité de célébration pascale – du moins l’unité de date de célébration pascale – devrait réveiller en nous ce qui reste une véritable blessure à l’unité de l’Église. Que des chrétiens célèbrent Pâques pendant que d’autres sont encore en Carême – voire le commencent seulement – n’a sans doute pas été un scandale très sensible en France pendant de longs siècles. Il est cependant très visible et sensible au Proche-Orient, et il le devient également en France même au fur et à mesure que les diasporas chrétiennes venues de ces régions y occupent une place croissante, ou du moins une place d’autant plus visible que celle de l’Église catholique latine se réduit. Si l’unité des Églises reste encore un horizon lointain, peut-être l’anniversaire du concile de Nicée pourrait-il suggérer des discussions renouvelées sur l’unification de date de la fête de Pâques ? L’article d’I. Moga envisage également une autre postérité du concile, dans l’Église byzantine et post-byzantine, à travers la célébration d’une fête qui lui est dédiée : une telle inscription du concile dans la liturgie témoigne, d’une autre manière, de son actualité continuée et renouvelée. Elle pourrait d’autant plus nous inciter à revisiter l’héritage liturgique de Nicée, en particulier pour la fête de Pâques 10.
Nous avons évoqué plus haut le fait que le concile de Nicée avait édicté un certain nombre de canons ; s’il n’a pas été possible, dans ce numéro, de traiter plus en détail du rôle canonique, législatif, des conciles au sein de l’Église, on trouvera cependant dans l’article d’H. Pietras une présentation du contenu des différents canons 11. Si beaucoup d’entre eux semblent aujourd’hui bien loin de nos préoccupations, ce n’est pourtant pas le cas de tous. Les modalités d’admission dans l’Église des schismatiques, y compris des clercs schismatiques, n’est pas sans écho dans l’Église catholique d’après le concile Vatican II. Il en va de même du 20e canon qui précise que les fidèles se tiendront debout pour la prière – donc pour la totalité de la liturgie, de la messe – le dimanche et pendant le temps qui va de Pâques à la Pentecôte, sans plier le genou. Peut-être ce canon, qu’aucun concile œcuménique n’a jamais abrogé, pourrait-il nourrir la réflexion sur les formes extérieures de la piété des fidèles, pendant la célébration de la messe dominicale ? Ce ne sont là que deux exemples, pris presque au hasard, de l’intérêt qu’un lecteur de Communio pourra trouver à se pencher sur ces canons d’un concile pourtant vieux de 1700 ans.
Au terme de ce numéro, on espère que le lecteur aura acquis une meilleure connaissance du premier concile œcuménique, mais aussi mieux compris sa portée jusqu’à nos jours, ainsi que les réflexions qu’il peut suggérer sur la vie de l’Église actuelle et la pratique de la théologie.
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