Considéré dans la première moitié du XXe siècle comme l’égal des plus grands écrivains, André Suarès a été un des premiers à se situer vis-à-vis du christianisme non pas dans un rapport simpliste d’opposition ou d’adhésion, mais dans une combinaison complexe et chatoyante d’attirance et de répulsion.

Suffisamment célèbre en son temps pour être vu comme l’égal de Claudel, Gide, Rolland ou Valéry, André Suarès (1868-1948) subit depuis sa mort une occultation d’autant plus regrettable que la découverte fortuite d’un de ses livres suscite presque toujours l’engouement du lecteur. On le réduit souvent au Voyage du condottière, ardent bréviaire de l’art italien, qui ne saurait pourtant faire oublier tant d’autres chefs-d’oeuvre. Animés de convictions esthétiques et philosophiques puissantes, ses livres ne forment pas tant l’addition de sujets divers qu’une mosaïque à laquelle l’écrivain, en soixante années de sacerdoce littéraire, n’a cessé de vouloir conférer une cohérence. C’est qu’à ses yeux, l’art et la vie sont étroitement mêlés. En écrivant, Suarès ne recherche pas la gloire des hommes de lettres : c’est le sens profond de son existence qui est en jeu. Aussi ne doit-on pas s’étonner de découvrir, en filigrane de son oeuvre, les traces régulières d’une quête à la fois religieuse, morale et esthétique. Ce juif marseillais devenu intellectuel parisien sans église a, toute sa vie, recherché une réponse susceptible d’étancher sa soif de divin. Son rapport au christianisme illustre idéalement la capacité de plusieurs de ses contemporains à se situer non pas dans un rapport simpliste d’opposition ou d’adhésion, mais dans une combinaison complexe et chatoyante d’attirance et de répulsion.

Pour clarifier le rapport de Suarès au christianisme, il faut tenir compte de la variété des points de vue adoptés mais aussi de la complexité de sa quête religieuse. Suarès se montre en effet écartelé entre l’exigence d’une autonomie rationnelle excluant toute transcendance et la recherche d’un Dieu personnel aussi ardemment recherché qu’il se montre à ses yeux désespérément absent et silencieux.

Découverte du christianisme par Suarès

Né dans une famille juive pratiquante mais peu légaliste, le jeune Félix a d’abord découvert le christianisme par le biais des servantes catholiques qui travaillaient au service de ses parents. Outre des signes tangibles observés dans les rues (une statue d’évêque, un calvaire, une crèche et ses santons), l’auteur de Marsiho se rappelle ses passages par l’église Saint-Victor, le temps d’une prière avec l’une ou l’autre de ces femmes, dans « l’antique maison où l’encens des rites porte au ciel l’oraison des pauvres gens ».  [...]

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