n°295 Jean Daniélou ( 1905-1974) Septembre - Octobre 2024*

Editorial: Jean-Robert Armogathe: Jean Daniélou, un penseur dérangeant

Portraits d’un pasteur Quatre témoignages brossent le portrait pris sur le vif de celui qui fut aumônier, chercheur, théologien, et qui a dévoué sa vie à la pastorale de l’intelligence.

 J.-R. Armogathe : Jean Daniélou, ou l’intelligence de l’Évangile

 Annick Lallemand : Le Père Daniélou à l’École de Sèvres (1941-1974) 

Marguerite Léna : Un « apôtre selon l’Esprit » − Jean Daniélou, sa mère et la Communauté Saint-François-Xavier

 J.-M. Lustiger : Vingt ans de Quartier latin 1946 

1946 : un article précurseur

 Florian Michel : Jean Daniélou : Les orientations présentes de la pensée religieuse 

L’œuvre théologique

Giulio Maspero : Jean Daniélou et la tâche de penser avec les Pères de l’Église

Jean Daniélou a d’abord appliqué le ressourcement patristique à l’exégèse ; à l’approche littérale et spirituelle, il ajoute une approche typologique : les prophètes de l’Ancien Testament étaient déjà conscients de la portée messia- nique de leur message. Cette approche patristique rendtoute sa valeur à l’histoire et à la vie concrète des chrétiens. En pensant avec les Pères, Daniélou propose une interprétation de l’être humain à la lumière de la révélation trinitaire

Paolo Pizzuto : La théologie de la révélation chez Jean Daniélou

L’étude des papiers inédits de G.-M. Garrone révèle l’importance de la contribution de Daniélou, reprise dans le ch. 1 deDei Verbum: l’économie de la révélation est opérée par des actions et des paroles étroitement liées entre elles, et Dieu a préparé la route à l’Évangile par tous ceux qui ont recherché le bien. Une révélation « cosmique » a préparé la révélation « historique », jusqu’à la rencontre personnelle du croyant avec le Christ.

Gilberto Sabbadin : La typologie chez Jean Daniélou − Attestation actuelle des réalités eschatologiques

Le choix d’une lecture typologique de l’Ancien Testament a une double portée : d’une part, réintégrer ces livres dans l’actualité prophétique et d’autre part conférer une portée eschatologique à leur enseignement. La méthode théologique de Daniélou comprend normalement les niveaux christologique, ecclésiologique et mystique, entrelacés par le sens eschatologique, donc trinitaire.

Jean Duchesne : Un théologien pasteur

En publiant L’Oraison, problème politique avant la fin de Vatican II, le P. Daniélou actualise et renouvelle pédagogiquement, pour les catholiques de son temps, les réponses de Maritain, du P. de Lubac et de Mounier au défi lancé à l’Église par la sécularisation : comment constituer un peuple et ne pas séparer le spirituel du temporel ni les confondre ?

Marcelo Bravo Pereira : Jean Daniélou, christianisme et religions − Le sens théologique du problème historique des religions

Le sens historique des religions non chrétiennes a constitué une préoccupation majeure de Jean Daniélou. Dans sa perspective de la théologie de l’histoire, elles représentent une première expression de la présence de Dieu : en s’insérant dans des cultures déjà religieuses, le christianisme les conduit à leur pleine maturité : « c’est à la fois à travers elles et malgré elles que des païens peuvent être sauvés ».

Regis Burnet : Cinquante ans après la mort de Jean Daniélou, où en est la question du judéo-christianisme ?

Le livreThéologie du Judéo-christianisme de JeanDaniélou, publié en 1958, a remporté un grand succès, bien qu’il fût reçu différemment de l’intention originale de l’auteur. Conçu comme une réponse à Harnack et une théologie du christianisme d’origine juive, il a été perçu comme une invitation à retrouver les racines juives du christianisme. Cinquante ans après, la perspective sur le judéochristianisme a significativement changé. Les recherches modernes ont remis en question la vision téléologique de Daniélou, se concentrant plutôt sur le rôle des changements sociaux dans la formation des identités religieuses. Bien que les théories de Daniélou soient maintenant fort délaissées, il serait cependant utile de renouer avec l’intuition première du Cardinal : peut-on reconstruire la théologie des premiers chrétiens d’origine juive?

Signet

Jean Duchesne : In memoriam, Jacqueline d’Ussel, s.f.x.

Jean-Robert Armogathe:  Jean Daniélou,  un penseur dérangeant

Dédier un cahier de notre revue à Jean Daniélou tient de la gageure ¹ : comment rendre justice en quelques dizaines de pages à un écrivain aussi prolifique, passant d’ouvrages érudits à des chroniques ou des articles de grande diffusion ² ? En sachant que cette activité n’occupait qu’une partie de sa vie, ponctuée d’innombrables interventions, conférences, prédications et marquée par son attachement au service pastoral, en particulier celui de l’École normale supérieure de jeunes filles ?

Pour surmonter cette difficulté, il fallait envisager deux types de contributions : quelques témoignages de son engagement pastoral auprès des étudiants et quelques articles scientifiques, touchant ses principaux domaines d’intérêt.

Originaires de trois pays, les auteurs de ce cahier ont, pour beaucoup d’entre eux, soutenu une thèse de doctorat sur tel ou tel aspect de la pensée de Daniélou. Les quatre témoignages (dont trois sont des rééditions) sont portés par des témoins proches du Père ³.

Son œuvre et ses multiples initiatives ⁴ devaient profondément renouveler la réflexion théologique et la prédication chrétienne : c’est pourquoi nous avons retenu, en ouverture de ce cahier, l’un de ses articles paru dans les Études en 1946, sur « Les orientations présentes de la pensée religieuse ⁵ ». Il y a près de quatre-vingts ans, Jean Daniélou y annonçait des développements dont on ne prit conscience qu’après le Concile. Une partie importante de son enseignement et de sa recherche a touché aux origines du christianisme : sa Théologie du judéochristianisme (1958) ouvrit un chemin nouveau pour la connaissance du christianisme primitif dans son rapport au judaïsme. Il convient, plus de soixante ans plus tard, de faire le point sur l’originalité de son apport et l’état actuel de nos connaissances ⁶.

Autre domaine exploré par Jean Daniélou : la patristique, spécialement les Pères des premiers siècles. Sa collaboration, aux côtés des PP. de Lubac et Mondésert, à la collection des Sources chrétiennes, a entraîné un renouvellement de l’exégèse et de la spiritualité. On peut dire qu’il a permis de « penser avec les Pères de l’Église ⁷ ». Mais il était trop théologien pour se contenter d’un travail d’érudition : sa connaissance des Pères devait permettre de penser autrement toute l’histoire du salut, qui est « typologiquement » lisible. Pour ce faire, Jean Daniélou a tenu à montrer qu’il s’agissait là d’une composante originelle du christianisme : l’histoire sainte suit un dessein eschatologique qui lui donne son unité ⁸.

Dans son rôle d’expert au Concile, il a contribué à de nombreux documents ⁹ ; nous avons retenu celui qui entre le plus en syntonie avec les articles précédents : la rédaction du chapitre 1 de Dei Verbum ¹⁰, étudiée à partir de documents inédits (du fonds G.-M. Garrone) ¹¹. Son approche de l’universalité de la révélation l’a conduit à une réflexion originale sur le sens historique des religions ¹². Le Cercle Saint Jean-Baptiste a constitué la mise en application concrète de cette réflexion¹³.

La religion, comme la culture de chaque peuple, appartient à la création, elle est un élément naturel du développement humain. Au cœur d’un monde déstabilisé, il osa affirmer, en 1965 : « Sans relation à Dieu, il n’y a pas d’homme et il n’y a pas non plus de cité ¹⁴ ».

Point par point, ce portrait trace la figure d’un joker, que ni Paul VI (avec le cardinalat), ni Maurice Druon (avec l’Académie française) ne surent assagir. Dès ses premiers écrits jusqu’à sa mort, Jean Daniélou ne cessa d’être dérangeant : n’est-ce pas le destin des prophètes ?

 1 J. FONTAINE, éd., Actualité de Jean Daniélou, Paris, Cerf, 2006

 2 M. BRAVO PEREIRA et F. MAGI, L’opera di una vita. Repertorio bibliografico di Jean Daniélou (1905-1974), Ateneo Pontificio Regina Apostolorum, Sussidi e strumenti didattici 10, Rome, 2024 (en 1600 entrées, compile contient les monographies, les articles, les notes du Bulletin du Cercle Saint-Jean-Baptiste (Axes), les comptes rendus ; recense aussi toute la bibliographie secondaire sur Jean Daniélou).

 3 J.-M. LUSTIGER, Marguerite LÉNA, sfx, Annick LALLEMAND et J.-R. ARMOGATHE, dans ce cahier, p. 12, 15, 19 et 24.

 4 L’initiative de Jean Daniélou a été décisive pour la fondation et le lancement de cette revue dont le premier numéro est paru quelques mois après son décès.

 5 Introduit et annoté par FLORIAN MICHEL.

 6 R. BURNET, « Cinquante ans après la mort de Jean Daniélou, où en est la question du judéo-christianisme ? », dans ce cahier, p. 110.

 7 G. MASPERO, « Jean Daniélou et la tâche de penser avec les Pères de l’Église », dans ce cahier, p. 45.

 8 G. SABBADIN, « La typologie chez Jean Daniélou : attestation actuelle des réalités eschatologiques », dans ce cahier, p. 74

 9 Voir le précieux Bulletin des Amis du cardinal Daniélou, édité par M.-J. RONDEAU de 1975 à 2005 (31 numéros).

 10 Voir J. X. LALO, « Verbe de lumière et Verbe de vie. De Dei Verbum à Aperuit illis », Communio, sept.-oct. 2023, p. 96- 107.

 11 P. PIZZUTO, « La théologie de la Révélation chez Jean Daniélou », dans ce cahier, p. 58.

 12 M. BRAVO PEREIRA, « Jean Daniélou, christianisme et religions. Le sens théologique du problème historique des religions », dans ce cahier, p. 98.

 13 Fr. JACQUIN, Histoire du Cercle Saint Jean-Baptiste.L’enseignement du Père Daniélou, Beauchesne, Paris, 1987 (voir aussi le c.r. d’É. Poulat, Archives de sciences sociales des religions, 1991, p. 261).

 14 L’oraison, problème politique..., p. 113 ; J. DUCHESNE, « Un théologien pasteur », dans ce cahier, p. 86.

Jean Duchesne : In memoriam, Jacqueline d'Ussel , s.f.x ( 1927-2024)