Sommes-nous assez simples?

Loeiz AR FLOC'H
Les communautés dans l'Eglise - n°10 Mars - Avril 1977 - Page n° 54

Foi et pratique religieuse dans une paroisse bretonne

Une paroisse, même rurale, même bretonne, ne se déve­loppe, ou ne subsiste qu'avec difficulté. Elle peut cependant se renouveler. Mais cela suppose chez le pasteur une foi vigoureuse et indépendante, et une connivence profonde avec  les hommes.

La première page, 54, est jointe

UNE paroisse rurale de 1.500 habitants environ. En fin du 19e siècle, on en comptait près de 2.000. Mais l'émigration est intervenue, et la saignée terrible de la guerre de 1914 (marins, la Marne, la Somme, les Dardanelles). Ceux qui avaient subsisté rentraient fatigués, souvent gazés ; la tuberculose fit des ravages. Les plus dynami­ques quittaient le pays, faute de trouver sur place un métier autre que la culture et quelques situations libérales difficiles à atteindre. Alors la population était tombée à 1.200, à 1.000... Puis, il y a une quinzaine d'années, création d'un centre industriel à proximité, nouveaux arrivants, constructions nouvelles. La population remonte, 1.500 et plus...

Paroisse qui reste cependant rurale. Et nous sommes en Basse-Bre­tagne. Nos théoriciens pensent que cela ne pose pas de problème. Vue de Paris, la Basse-Bretagne est le pays où les gens pratiquent à 95 %, où la foi est traditionnelle et se transmet de père en fils, où on désigne du doigt les gens qui ne vont pas à la messe. Tout cela est parfaitement faux pour la plupart des paroisses bretonnantes, à supposer que ce soit encore vrai pour le Pays de Léon, Saint-Pol et sa région... Pour être breton nous-même, nous savons bien qu'il y a des cantons entiers de Basse-Bretagne qui n'ont jamais été profondément évangélisés, et où le P. Maunoir lui-même, au XVIIe siècle, a échoué. Il est vrai que la fin du XIXe siècle, avant l'offensive combiste, avait été une période de foi réelle et de pratique religieuse ; mais c'était une évangélisation récente, qui s'étiola très vite après le choc de la guerre de 1914. (p.54)

Lorsque l'actuel Recteur arrive dans la paroisse il y a une vingtaine d'années, c'est déjà chose établie : peu d'assistance aux messes du diman­che ; les Vêpres ne rassemblent pas dix personnes, ni les offices de dévo­tion (ce sont de vieilles femmes, qui s'en iront sans tarder dans la paix du Seigneur qu'elles aiment sincèrement). Il y a bien quelques religieuses sur place (elle ne vont d'ailleurs pas rester longtemps, les diminutions d'effectif ne sont pas d'aujourd'hui) ; mais elles n'osent pas communier à la Grand'messe : « Cela ne se, fait pas, monsieur le Recteur ».

 

 

C'EST toujours un avantage de connaître le pays, la population, de pratiquer la langue des gens, le breton, de pouvoir leur répondre sur leur plan, car ils sont intelligents, caustiques : ils aiment s'ex­primer à demi mot, par allusions ; à vous de comprendre. Mais le pasteur sait aussi que par derrière une première réserve, il y a beaucoup de coeur ; la vie est rude, la politesse n'est pas celle des gens de la ville, mais elle a ses rites et peut-être plus de profondeur ; la foi est plus réelle que les apparences ne le laissent voir. Le premier paroissien à qui le nouveau Recteur sera appelé à donner l'extrême-onction n'avait pas mis les pieds à l'église depuis quarante ans et plus, mais il avait toujours la foi et ne posa pas de problème. A l'usage, le nouveau pasteur constata que de fait, ces gens qu'il ne voyait pas à l'église étaient dans l'ensemble fort hon­nêtes, serviables, prêts à lui rendre service. Alors, pourquoi avaient-ils décroché ?

D'abord le poids des difficiles conditions de vie. Familles nombreuses, pauvres, sans secours d'aucune sorte. Ils ont espéré de la politique une amélioration de leur sort : cela mettra beaucoup de temps. Sous-alimetation, tuberculose, logements déficients. Il y a de quoi se décourager. Une seule solution : émigrer, devenir manoeuvre en ville, s'en aller à Paris parce que dans la grande ville on ne sera pas connu, et qu'on pourra y cacher sa honte. Ceux qui restent sont aigris. Dans ces conditions, des régions entières de Basse-Bretagne sont passées au communisme ; cela n'a rien d'étonnant ; mais c'est un communisme spécial, une réaction contre la situation existante : on continue de venir trouver le Recteur pour ceux qui meurent, et ceux qui naissent : « Nous ne sommes pas des chiens ! »Par derrière, il y a tout l'orgueil de la vieille race bretonne qui ne comprend pas qu'avec son courage, son travail, son intelligence, on lui fasse toujours cette situation de parias.

Alors, pour autant que le Recteur n'a pas partie liée avec le régime (celui d'hier ou d'aujourd'hui, au fond, c'est toujours pareil — les Répu­bliques se succèdent, mais peu de choses bougent), pour autant que le nouveau Recteur se déclare breton à 100 %, on lui fait confiance. Il appa­raîtra comme le représentant du surnaturel, de la grâce et du pardon qui viennent de Dieu et qui ne peuvent être donnés que par lui : on est (p.55) d'accord. Je vois, pas loin d'ici, telle paroisse à municipalité communiste : du temps d'un ancien recteur gouvernemental, les enterrements civils s'étaient multipliés ; un nouveau recteur arrive, avec la mentalité que je viens de décrire : tout a aussitôt changé... Ici, les gens attendent du prê­tre qu'il soit prêtre. S'il est autre chose, d'abord on ne dira rien, mais on manifestera la plus grande indifférence à son égard.

Nous constatons donc une foi sous-jacente, plus vraie que les apparen­ces ne le laissent soupçonner ; et par dessus, quelque chose qui inhibe la pratique religieuse, le contexte social, qui se mue en contexte politique.

 

 


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