Les fins dernières, objet de l’espérance chrétienne, devraient polariser l’attention des fidèles et la prédication des clercs. Elles sont pourtant les grandes absentes de notre ethos spirituel, sans doute en raison de l’émergence d’un monde occidental post-chrétien mais aussi pour une raison intrinsèque, donc plus profonde. Comment représenter ce qui, par définition, échappe à notre appréhension empirique de l’espace-temps ? Comment penser ce dont aucun de nous n’a jamais expérimenté la pleine réalité ? Comment imaginer les fins dernières, au-delà de toute image ? Sinon en découvrant que cet au-delà est aussi ce à partir de quoi l’on peut imaginer, penser et espérer…
Éditorial : Florent Urfels : En a-t-on fini avec les fins dernières ?
Thème Imaginer les fins dernières
Jean-Robert Armogathe : Être dans la main de Dieu
La difficulté de prêcher sur les fins dernières provient souvent d’une ignorance des fidèles: l’espérance chrétienne est cependant la conséquence nécessaire de la foi, et la joie est le plus assuré critère de son authenticité.
Paschase Radbert : La foi et l’espérance
Traduction française du livre II, ch. 3 d’un traité écrit par le saint moine de l’Abbaye de Corbie (c. 790-860).
Dominique Poirel : Les arrhes du fiancé – Fins dernières et vie présente chez Hugues de Saint-Victor († 1141)
Dans son dialogue « Sur les arrhes de l’âme », Hugues de Saint-Victor († 1141) décrit l’existence ici-bas comme un temps de fiançailles spirituelles, accordé à l’âme fidèle pour qu’elle découvre les preuves d’amour dont l’a comblée son fiancé divin, réponde dignement à son affection et se prépare, dans ce salon de beauté qu’est l’Église, à la consommation future des noces éternelles.
Marco Rainini : L’histoire et sa fin – Intelligence de l’histoire et apocalyptique au XIIe siècle
Le XIIe s. est le siècle de l’histoire, d’une part avec la construction de théologies de l’histoire de plus en plus complexes, d’autre part avec une exégèse symbolique renouvelée de l’Apocalypse. Pour les grands auteurs de cette période, il s’agit de découvrir dans les événements et les rythmes du monde visible l’avenir encore caché et la réalité du monde invisible et définitif.
Edoardo Fumagalli : Le Purgatoire, cantique de l’espérance
L’espérance est à la base du poème de Dante, ce que l’on observe plus parti- culièrement dans le cantique du Purgatoire. La même espérance anime la mission prophétique dont Dante se dit investi : l’expérience de son voyage outre-tombe est aussi un message à porter aux hommes pour les aider dans leur peine terrestre et raviver leur désir du Ciel.
Nicole Bériou : Les fins dernières dans la prédication médiévale (XIIe - XVe siècles)
Rendues familières aux hommes du Moyen Âge par les représentations figurées, les fins dernières sont très présentes dans le discours des prédicateurs. Le Jugement dernier y a une place de choix, en contrepoint de la pastorale de la pénitence qui invite à se persuader qu’entre deux hontes il faut choisir la moindre. La croyance au purgatoire implique aussi de mettre l’accent sur le jugement particulier, tandis que l’enseignement sur les fins dernières se coule parfois dans des formes théâtrales qui les dramatisent davantage.
Cyril Gerbron : Les fresques de Signorelli à Orvieto: « toutes les histoires de la fin du monde selon une invention bizarre et capricieuse »
Luca Signorelli a réalisé un ensemble de fresques sur le thème de la fin du monde qui forment l’un des plus amples programmes eschatologiques jamais réalisés en Italie. Dans ses visions du règne de l’Antéchrist, des calamités apocalyptiques, de la résurrection des morts et du Jugement dernier, le peintre invente un langage plastique inédit et accorde autant de place à sa propre imagination qu’aux conceptions théologiques traditionnelles.
Christophe Bourgeois : Pourquoi des poètes ? Le lyrisme à l’épreuve des fins dernières
Dans les Contemplations et dans les recueils qui suivent, la poésie de Hugo intègre largement la représentation des fins dernières. Le fait est d’autant plus significatif que l’auteur écrit en marge de la théologie chrétienne: si un tel lyrisme porte en lui-même cette visée théologique, c’est qu’il prétend représenter en vérité le Moi. Telle pourrait bien être la leçon des poètes: seule la fin ultime offre un point de vue à la mesure de l’homme.
Dorothee Brunner : Un avant-goût sonore de l’éternité – Le Quatuor pour la fin du Temps d’Olivier Messiaen
Composé en 1940 par Olivier Messiaen alors prisonnier dans un Stalag de Silésie, le « Quatuor pour la fin des temps » évoque l’effondrement d’un monde ancien tout de même que l’espérance dans le surgissement d’un monde nouveau, à la temporalité plus angélique qu’humaine.
Pierre Gervais : Le Jugement dernier
Autrefois familier des chrétiens par les tympans et les peintures des églises, le Jugement dernier est devenu problématique pour nos contemporains. Pour préserver ce que cette représentation de la fin a d’essentiel, il importe de ne pas la couper des autres figures eschatologiques que sont le Serviteur Souffrant et le Fils de l’Homme. Également de rappeler combien le pardon divin, privé du jugement, perd toute consistance propre.
Éric de Moulins-Beaufort : Parler des fins dernières — Les réflexions du Père Henri de Lubac
Le Père de Lubac n’a pas traité directement des fins dernières. Une de ses études, consacrée à deux homélies d’Origène, ouvre pourtant une riche ré- flexion sur ce que parler des châtiments divins veut dire, si Dieu n’est à conce- voir ni sur le modèle d’un supérieur qui se vexerait des manquements de ses sujets ni comme un juge aveugle au mal causé.
Nous remercions Jean-Robert Armogathe, Viviane Ceccarelli, Agnès Gressier, Cécile Margelidon et Mariette Morin pour leur concours gracieux comme traducteurs.
En a-t-on fini avec les fins dernières ?
Florent Urfels
« La rencontre avec le Christ est l’acte décisif du Jugement. Devant son regard
s’évanouit toute fausseté. C’est la rencontre avec Lui qui, en nous brûlant, nous
transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les
choses édifées durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise
vide et s’écrouler. Mais dans la soufrance de cette rencontre, où l’impur et
le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se trouve le salut »
Benoît XVI, Spe salvi, n° 47
Le récit d’une conversion
Peter Hitchens est un journaliste et essayiste britannique, né en 1951. Il est le frère cadet de Christopher Hitchens, véritable icône de l’athéisme dans le monde anglo-saxon, rendu célèbre par son livre God Is Not Great : How Religion Poisons Everything (2007).
À l’âge de quinze ans, le jeune Peter entre en rébellion contre Dieu. Il brûle une Bible reçue de ses parents, convaincu que la religion est une chose dépassée, incompatible avec la Modernité et qu’elle conduit au malheur de l’homme. Devenu adulte, il mène une existence confortable et parfaitement dépourvue d’inquiétudes métaphysiques, jusqu’à un séjour touristique en Bourgogne. Sacrifant au programme prévu par le Guide Michelin, il visite alors les Hospices de Beaune et tombe en arrêt devant le célèbre retable du Jugement dernier de Rogier van der Weyden.
Je ricanais intérieurement. Encore une peinture religieuse. Ces gens ne pourraient-ils pas penser à d’autres sujets picturaux ? Toujours moqueur, je fixais mon attention sur les personnages nus se précipitant dans les fosses infernales, en dépit de mon faible intérêt pour les prétendues terreurs de la damnation. Cette fois je restai bouche bée, littéralement ma bouche était ouverte. Ces hommes ne m’apparaissaient pas comme appartenant à un passé révolu. Ils étaient mes contemporains. Parce qu’ils étaient nus, ils n’étaient pas réductibles à leur époque signifée par des coutumes vestimentaires dépassées. Au contraire, leur chevelure, leur visage même, consonaient étrangement avec le style de mon époque. Ces gens étaient moi et des personnes que je connaissais. […] Je n’ai pas bénéficié alors d’une expérience religieuse. Rien de mystique, aucun phénomène inexplicable, pas de transe, de vision, de voix ou d ’éclair. Mais j’eus la perception aiguë que la religion n’était pas prisonnière du passé, qu’elle était une réalité du temps présent. Je me souvins aussi de tous les méfaits que j’avais pu commettre, certains simplement embarrassants et d’autres épouvantables. Je n’eus alors aucun doute de faire partie des damnés1.
Quelques mois plus tard, Peter Hitchens retrouve la foi de son enfance et rejoint l’Église anglicane. Faisant le récit de sa conversion, il affirme que la terreur provoquée par le Jugement dernier a joué un rôle essentiel, ajoutant avec humour [...]
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1 Peter Hitchens, The Rage Against God, Continuum, 2010, p. 75 (ma traduction).
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