Difficile liberté religieuse – Hobbes, Spinoza et la philosophie politique moderne

De Hobbes à Spinoza, la liberté de conscience et la liberté d’expression deviennent des droits inaliénables, mais dans le cadre d’une philosophie affirmant la double juridiction politique et religieuse de l’État, c’est-à-dire excluant la liberté de culte. Cette matrice historique et conceptuelle, qui suppose la séparation des deux régimes ou des deux règnes, explique les difficultés des démocraties libérales à l’égard de la liberté religieuse, méconnue en théorie dans toute son extension, reconnue en pratique avec des restrictions.

Contrairement à une idée reçue, la philosophie politique moderne ne promeut pas la séparation du politique et du religieux. Elle promeut une autre séparation qui n’interdit pas, voire implique, la confusion du politique et du religieux, et donc rend la liberté religieuse difficilement pensable. Cette autre séparation trace une frontière infranchissable entre deux domaines : l’un renvoie à l’intériorité politiquement inviolable de la conscience, l’autre à l’extériorité politiquement contraignable du comportement. Ce second domaine inclut tout comportement, y compris le comportement religieux à travers lequel la conscience manifeste extérieurement et collectivement sa manière de s’ordonner intérieurement à Dieu. Sur la base de cette séparation, la philosophie politique moderne institue la liberté de conscience, la liberté de ne pas se faire imposer par l’État ce que l’on doit croire ou penser. Mais elle n’établit pas pour autant la liberté de religion, qui ne se fonde pas seulement sur l’intériorité politiquement inviolable de la conscience, mais suppose également l’extériorité politiquement inviolable du comportement religieux, c’est-à-dire la liberté de culte. Dans la philosophie politique moderne, le culte, soustrait à l’Église, et plus généralement à toute communauté religieuse, devient le monopole de l’État, tout comportement religieux étant considéré comme un problème politique, un problème pour l’autorité temporelle. Cet aspect de la philosophie politique moderne est souvent ignoré, au point de lui attribuer la promotion de la liberté religieuse, dans la mesure où l’institution de la liberté de conscience s’accompagne de la réduction de la liberté de religion à la liberté de conscience, c’est-à-dire de la forclusion de la liberté de culte. Nous observons cette réduction chez des auteurs comme Hobbes et Spinoza, dont les philosophies politiques constituent la matrice historique et conceptuelle du libéralisme politique. C’est pourquoi...

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