n°251 Violence et religions Mai - Aout 2017*


 Comme l’indique ce titre au pluriel, Violence et religions, nous étudions des religions concrètes, celles dont l’histoire nous raconte le développement. Nous avons voulu éviter des considérations générales sur des notions comme « la religiosité », « le sentiment religieux », ou « l’expérience religieuse », qui manquent d’un ancrage historique. Nous avons préféré envisager ce que l’histoire, proche ou lointaine, nous apprend sur la présence de la violence dans les religions, et du religieux dans les phénomènes de violence.   

Page Titre Auteur(s)
7 Éditorial
11 Violence et religions Rémi BRAGUE
19 Le moment monothéiste en un temps de violence Javier M. PRADES LOPEZ
33 Pas de vérité sans violence ? Dialogue avec Jan Assmann Ludger SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER
49 Une histoire trop bien connue pour être vraie - Le mythe girardien des guerres de religion William T. CAVANAUGH
61 Guerre(s) et religion(s) – Quelques repères dans un champ de mines Olivier CHALINE
79 La croisade Jacques PAVIOT
91 Monothéisme et violence au regard de l’hindouisme et du bouddhisme Jacques SCHEUER
101 Les livres sacrés, violents ? Rémi BRAGUE
113 Violence et ironie biblique : autour de la geste du roi Jéhu (2 Rois 9 -10) Frère MARTIN
129 Compelle intrare – À propos de la justification théologique de la contrainte en matière de foi dans le christianisme occidental Hans MAIER
144 Un peintre spirituel, Jean Hugo Florian MICHEL
153 Max Jacob (1876-1944) – La conversion comme séduction de l’écriture Jean-Robert ARMOGATHE
158 À propos du célibat sacerdotal Jean DUCHESNE
167 Luther et les catholiques : un rendez-vous manqué Jean-Robert ARMOGATHE
180 La prière et le temps chez Franz Rosenzweig Ivica ŽIŽIĆ

Éditorial

Thème: Violence et religions

 Rémi Brague : Violence et religions

Lorsque l’on s’interroge sur le lien entre religion et violence, quelques distinctions élémentaires sont indispensables: éviter d’isoler le facteur religieux parmi d’autres sources de violence, ne pas mettre sur le même plan diverses formes de religion, et distinguer entre les religions et leurs adeptes.

Javier M. Pradez -Lopez : Le moment monothéiste en un temps de violence

Si les guerres de Religion ont alimenté le préjugé qui fait du monothéisme un facteur de violence, l’itinéraire du christianisme – qui contemple le Fils de Dieu mourant innocent sur la croix – met en lumière l’adieu irréversible à la violence commise au nom de Dieu. S’appuyant sur les travaux de la Commission Théologique Internationale, l’auteur espère qu’un temps nouveau est arrivé, permettant ainsi une confrontation paisible et féconde pour le dialogue interreligieux.

Ludger Schwienhorst-Schönberger : Pas de vérité sans violence ?

L’auteur discute la thèse de l’égyptologue Jan Assmann selon laquelle le monothéisme serait, sinon intrinsèquement violent, du moins porteur d’une violence possible. Or si la rupture mosaïque a le mérite d’introduire une exigence plus ferme de vérité et de justice, il n’est pas certain qu’elle résume à elle seule la Révélation. L’élan mystique du christianisme, par sa dimension englobante et unitive, permet aussi d’intégrer plus justement ce que la rupture monothéiste semblait avoir perdu.

William T. Cavanaugh :  Une histoire trop bien connue pour être vraie

L’État laïc est-il vraiment ce qui a permis de mettre fin aux guerres entre catholiques et protestants aux XVIe et XVIIe siècles et donc aux conflits attisés par la religion ? L’histoire montre au contraire que, selon un processus dévoilé par René Girard, la sécularisation a transformé le christianisme en bouc émissaire pour imposer sa propre intransigeance en revendiquant le monopole de la rationalité. C’est ce mensonge qui suscite aujourd’hui les réactions fondamentalistes. Ce n’est pas moins de religion qu’il faut désormais, mais la vraie religion : celle du Dieu non-violent et miséricordieux.

Olivier Chaline : Guerre (s) et religion (s) – Quelques repères dans un champ de mines

La notion de « guerre de Religion » est le vecteur d’un triple réquisitoire: contre le catholicisme, contre le christianisme, contre toute foi religieuse. Sans doute faut-il l’écarter pour mieux saisir les réalités historiques qu’elle est censée désigner. Réduire les enjeux religieux à des questions politiques n’est pas la meilleure manière de les appréhender et il ne faut pas manquer de rendre à César celles des violences qui lui sont imputables.

Jacques Paviot : La croisade

L’histoire de la croisade se déploie sur près de deux siècles : conçue, au départ, comme guerre pour la défense de la papauté avec récompenses spirituelles et pèlerinage, puis lutte de la papauté contre ses ennemis de l’Europe et contre les Turcs, la croisade devint pèlerinage armé au secours des chrétiens orientaux, et apparut alors comme guerre pontificale juste. Ce mouvement occidental, spirituel et militaire fut, par la prise de Constantinople, le déclencheur du divorce entre chrétienté latine et orthodoxe.

Jacques Scheuer : Monothéisme et violence au regard de l’hindouisme et du bouddhisme

L’Occident rêve parfois de trouver dans les cultures non monothéistes inspirées de l’hindouisme ou du bouddhisme une forme idéale de non-violence. Or, si elles s’exercent à la maitrise du corps et de l’esprit, ces religions n’échappent pas toujours aux conflits et à la violence, spécialement à notre époque. En retour, les tensions suscitées par l’implantation en Asie des religions monothéistes obligent à s’interroger lucidement sur les formes que peut prendre l’annonce de l’Évangile.

Rémi Brague : Les livres sacrés violents ?

Dans les livres sacrés des trois religions juive, chrétienne et musulmane, la violence est présente soit comme l’objet d’un récit historique, soit comme celui d’un souhait, soit comme un commandement émis par Dieu. Il convient de bien distinguer ces modes très hétérogènes, sous peine de s’exposer à de graves contresens.

Frère Martin : Violence et ironie biblique autour de la geste du roi Jéhu (2 Rois 9 -10)

Une lecture fondée sur l’ironie permet d’y voir une satire du roi qui souhaite se substituer à Dieu, seul vrai roi en Israël.

Hans Maier : Compelle intrare – À propos de la justification théologique de la contrainte en matière de foi dans le christianisme occidental

Si très tôt la théologie chrétienne affirme clairement que nul ne doit être contraint en matière de religion, ni par l’État ni par aucune religion, l’histoire du christianisme montre que la pratique n’a pas toujours suivi ; en cause les traductions et interprétations variées de Luc 14,16-24, dans la parabole des invités au banquet : « Pressez-les d’entrer/ Contrains-les d’entrer ». Il a fallu attendre Vatican II pour établir théologiquement et fermement la liberté religieuse et Jean-Paul II pour demander pardon, au nom de l’Église, le 12 mars 2000.

Dossier : De quelques convertis du XXsiècle

Florian Michel : Un peintre spirituel Jean Hugo (1894-1984)

Jean Hugo (1894-1984), à la fois peintre et homme de lettres, est un "converti" des années folles. Arrière petit- fils de Victor Hugo, élevé dans l’anticléricalisme, survivant de la Première Guerre mondiale, proche des grandes amitiés de Jean Cocteau et de Jacques Maritain, Jean Hugo témoigne des secousses spirituelles de sa génération. Il montre l’exemple, par son art et par son choix de vie, d’un artiste, qui se laisse guider par l’humilité, la foi, le sens de l’amitié et la fidélité à la grâce reçue.

Jean-Robert Armogathe : Max Jacob (1876-1944) La conversion comme séduction de l’écriture

Poète, romancier, peintre, Max Jacob (1876-1944) a vécu une conversion tourmentée et chaotique, d’un judaïsme agnostique à un catholicisme teinté d’occultisme, enrichi d’expériences mystiques surprenantes. Son oeuvre se déploie entre l’écriture et les Écritures, l’encanaillement bohème et l’ascèse chrétienne, jusqu’au dépouillement de sa mort au camp de Drancy.

Signets

Jean Duchesne : À propos du célibat Sacerdotal

Le célibat des prêtres est objet de débats. Mais l’histoire montre qu’il s’impose dès les temps apostoliques et qu’orthodoxes et chrétiens d’Orient n’y sont pas moins attachés que l’Église romaine. La continence s’avère en fait inséparable de l’obéissance et de la pauvreté. Ces exigences ne sont pas réservées à la vie monastique et concernent a fortiori ceux qui répondent à une vocation sacerdotale. La chasteté du prêtre comme instrument du dessein de Dieu peut même être inspirée par la virginité maternelle de la Mère de Jésus.

Jean-Robert Armogathe : Luther et les catholiques – un rendez-vous manqué

Les célébrations du 500e anniversaire de la Réforme ouvertes le 31 octobre 2016 sont l’occasion de mieux comprendre la « réformation » du xvie siècle. Elle n’est pas seulement un éclatement de la « chrétienté » occidentale : elle a donné une nouvelle vigueur aux enjeux théologiques fondamentaux du christianisme. À cinq siècles de distance, elle apparaît bien comme un rendez-vous manqué dont les Églises peuvent encore recueillir les fruits.

Ivica Žižić : La prière et le temps chez Franz Rosenzweig

Dans L’Étoile de la Rédemption (1921), Franz Rosenzweig montre comment la prière est une intrusion humaine dans l’éternité de Dieu : en particulier le temps liturgique concentre en quelque sorte l’Éternel dans le cercle contingent de l’humanité.


Nous remercions Françoise Brague, Isabelle Rak, Noémie Piacentino, Viviane Ceccarelli et Jean Duchesne, pour leur gracieux concours comme traducteurs.

Ne nous lassons pas de répéter que jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence. Seule la paix est sainte, pas la guerre! Pape François, 20 septembre 2016, à Assise

 

Le lien réel ou supposé entre le religieux et la violence pouvait se traiter de deux façons, chacune s’exprimant dans le titre d’un cahier consacré à ce problème, qui devrait être, selon les cas, au singulier ou au pluriel. Un cahier intitulé Violence et religion (ce dernier mot étant au singulier) se serait demandé si la prétention d’un rapport à l’Absolu entraînait ou non la revendication de posséder la vérité de façon exclusive, laquelle rendrait à son tour quasiment inévitable la tentation d’imposer ladite vérité par la force. Ou encore, il s’interrogerait sur la façon dont toute religion pourrait être une façon de canaliser une violence immanente aux rapports humains, par exemple en la ritualisant dans l’institution du sacrifice.

Nous avons choisi ici une autre approche, celle qu’indique le titre effectif du présent cahier, à savoir Violence et religions, au pluriel. De ce fait, le regard se transporte du niveau du concept de religion à celui des réalisations concrètes de la religiosité dans telle ou telle religion dont la science historique se donne pour tâche de décrire le développement. 

Bien entendu, il n’était pas possible d’éliminer totalement la première optique. Le faire aurait même été, non seulement difficile, mais même contre-productif. Il faut en effet avoir une certaine idée de ce qu’est en général une religion pour pouvoir ranger sous cette catégorie un certain type de phénomènes. Et cette notion encore vague demande comme spontanément à être affinée en un concept. 

À l’inverse, des considérations générales sur des formules comme le « sentiment religieux » ou l’« expérience religieuse », etc. manqueraient singulièrement d’un ancrage dans l’expérience si elles n’étaient illustrées par l’examen de religions concrètes. 

C’est pourquoi il nous a semblé opportun de commencer par ce que l’histoire, qu’elle soit lointaine ou contemporaine, nous apprend sur la présence de la violence dans les religions, et du religieux dans les phénomènes de violence. Rémi Brague met en place quelques distinctions élémentaires, souvent négligées lorsque l’on s’interroge sur le lien entre religion et violence. Il rappelle qu’il faut éviter d’isoler le facteur religieux parmi d’autres sources de violence, ne pas mettre sur le même plan diverses formes de religion, et distinguer entre les religions et leurs adeptes1. Le P. Javier Prades commente un document récent (2014) de la Commission Théologique Internationale [...]

 

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1 Voir « Violence et religions », p. 11.

Dossier : De quelques convertis du XXsiècle

Florian Michel : Un peintre spirituel Jean Hugo (1894-1984)

Jean Hugo (1894-1984), à la fois peintre et homme de lettres, est un "converti" des années folles. Arrière petit- fils de Victor Hugo, élevé dans l’anticléricalisme, survivant de la Première Guerre mondiale, proche des grandes amitiés de Jean Cocteau et de Jacques Maritain, Jean Hugo témoigne des secousses spirituelles de sa génération. Il montre l’exemple, par son art et par son choix de vie, d’un artiste, qui se laisse guider par l’humilité, la foi, le sens de l’amitié et la fidélité à la grâce reçue.

Jean-Robert Armogathe : Max Jacob (1876-1944) La conversion comme séduction de l’écriture

Poète, romancier, peintre, Max Jacob (1876-1944) a vécu une conversion tourmentée et chaotique, d’un judaïsme agnostique à un catholicisme teinté d’occultisme, enrichi d’expériences mystiques surprenantes. Son oeuvre se déploie entre l’écriture et les Écritures, l’encanaillement bohème et l’ascèse chrétienne, jusqu’au dépouillement de sa mort au camp de Drancy.

Signets

Jean Duchesne : À propos du célibat Sacerdotal

Le célibat des prêtres est objet de débats. Mais l’histoire montre qu’il s’impose dès les temps apostoliques et qu’orthodoxes et chrétiens d’Orient n’y sont pas moins attachés que l’Église romaine. La continence s’avère en fait inséparable de l’obéissance et de la pauvreté. Ces exigences ne sont pas réservées à la vie monastique et concernent a fortiori ceux qui répondent à une vocation sacerdotale. La chasteté du prêtre comme instrument du dessein de Dieu peut même être inspirée par la virginité maternelle de la Mère de Jésus.

Jean-Robert Armogathe : Luther et les catholiques – un rendez-vous manqué

Les célébrations du 500e anniversaire de la Réforme ouvertes le 31 octobre 2016 sont l’occasion de mieux comprendre la « réformation » du xvie siècle. Elle n’est pas seulement un éclatement de la « chrétienté » occidentale : elle a donné une nouvelle vigueur aux enjeux théologiques fondamentaux du christianisme. À cinq siècles de distance, elle apparaît bien comme un rendez-vous manqué dont les Églises peuvent encore recueillir les fruits.

Ivica Žižić : La prière et le temps chez Franz Rosenzweig

Dans L’Étoile de la Rédemption (1921), Franz Rosenzweig montre comment la prière est une intrusion humaine dans l’éternité de Dieu : en particulier le temps liturgique concentre en quelque sorte l’Éternel dans le cercle contingent de l’humanité.


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